Les loges à bois plantés : approche ethnoarchéologique


Frédéric Epaud

Les loges sont des constructions agricoles en bois servant de remises, de bûcher, de resserre à outils ou d'atelier de vinification, qui présentent la particularité d'avoir des poteaux porteurs plantés dans le sol ou bien un chevronnage ancré dans des petits talus de terre (BILLON 1984 : 66). Du fait de la disparition de cette technique de construction en Europe de l'ouest vers le 12e-13e siècle, il s'avère que ces constructions apportent nombre de réponses aux questions posées par l'architecture à poteaux plantés du Néolithique au Moyen Âge comme, par exemple, les formes de charpentes adaptées à ces supports, le comportement du bois dans le sol, ou encore la durée de vie des poteaux plantés. En outre, ces loges permettent de mieux interpréter les plans de fouille des bâtiments à poteaux plantés.

Appelées également « hangars à bruyère » ou « chaumines », ces loges sont localisées généralement dans les cours de fermes et sont aujourd'hui réparties sur un territoire délimité entre Tours et Angers (document 1), au nord-est du Maine-et-Loire et au nord-ouest de l'Indre-et-Loire (LAMBERT, RIOUFREYT 1982 : 22). D'après les travaux de l'Inventaire, il semblerait que l'aire de répartition de ces loges, avant le 20e siècle, s'étendait de la Sarthe jusqu'au Berry, avec des présences attestées en Champagne berrichonne et en Mayenne. Construites pour les dernières dans les années 1950, elles sont aujourd'hui presque toutes dans un état de délabrement avancé, faute d'entretien de leur couverture en bruyère. Leur recensement en 2007-2008 a permis d'identifier une cinquantaine de loges encore en élévation (EPAUD 2009), parmi lesquelles on peut identifier deux types de construction définis par la structure de leur charpente, répartis sur des territoires bien délimités : les loges à chevrons formant fermes, aux fermes rapprochées et plantées directement dans le sol, situées au nord-ouest de l'Indre-et-Loire (document 2), et les loges à fermes et pannes, à poteaux plantés, localisées principalement au nord-est du Maine-et-Loire (document 3).

Leur étude ethnoarchéologique est riche d'enseignements, tant pour les structures que pour les bois utilisés dans les constructions à poteaux plantés. On constate que, dans ces loges, le diamètre des poteaux est conditionné par les charges qu'ils supportent avec, parfois, les plus fortes sections des poteaux observées au sein d'un même bâtiment pour soutenir une croupe absidiale débordante ou droite aux extrémités de l'édifice. Les essences sont choisies pour des raisons mécaniques et pour garantir la bonne conservation du poteau dans le sol. À l'exception du châtaignier qui se dégrade très vite, le chêne et l'acacia conservent dans le sol, jusqu'à 1 m de profondeur, après cinquante ans, un bois résistant, peu altéré et capable de perdurer encore pendant plusieurs décennies. Leur dégradation reste limitée à l'aubier.

Les charpentes de ces loges, à chevrons formant fermes ou à fermes et pannes, aux structures variées et souvent complexes, peuvent être considérées comme autant de modèles de restitution pour l'étude de bâtiments à poteaux plantés découverts en fouille. Certaines, comme celle d'Échemiré (Maine-et-Loire) avec son plan en trapèze de 30 m de long et ses chevrons de fort diamètre (40 cm), plantés jusqu'à 1 m. de profondeur, montant jusqu'au faîtage, à 12 m de haut, évoquent les architectures du Néolithique final ou de l'âge du Bronze. En outre, la simple lecture au sol des trous de poteau et des négatifs laissés par ces loges révèle que les erreurs d'interprétation de ces plans sont très nombreuses et que ces négatifs ne permettent pas d'en reconstituer fidèlement les élévations. Après un arasement de 30 cm du sol, aucune trace ne subsiste des pignons, des cloisons, ni des chevrons ancrés au sol ou dans des talus. Les traces de ces parties du bâtiment sont pourtant indispensables pour restituer les élévations comme par exemple celles d'une toiture basse avec des chevrons plantés au sol qui, indirectement, renseignent sur la hauteur des poteaux intérieurs.

Concernant la structure du comble, la distribution des poteaux plantés s'organise toujours en travée, par couple, mais cette trame ne témoigne pas systématiquement de la présence de fermes assises au droit de ces poteaux. Dans les charpentes à chevrons formant fermes, les couples de poteaux sont répartis en travées uniquement pour reprendre de façon homogène les charges de la sablière, et non pour porter des fermes au droit des poteaux. Même si, dans le cas des charpentes à fermes et pannes, les couples de poteaux révèlent l'existence de travées dans le comble, rien ne permet de savoir, au sol, si la charpente est à chevrons formant fermes ou à fermes et pannes. La présence d'une croupe absidiale peut correspondre aussi bien à des chevrons formant fermes qu'à des fermes et pannes. Il apparaît donc que la répartition des trous de poteau ne permet pas de restituer en élévation la structure de la charpente.

Les restitutions proposées en aveugle d'après les plans de certaines de ces loges, après une simulation de leur destruction et de l'arasement de leur sol, sont très éloignées des constructions d'origine et démontrent bien que la seule lecture des trous de poteau ne suffit pas au travail de reconstitution. L'approche ethnoarchéologique de ces loges devrait inciter l'archéologue à la plus grande prudence quant aux restitutions des bâtiments qu'il propose à partir d'un ensemble de trous de poteau. Elle montre à quel point les traces laissées au sol ne révèlent rien de la structure du comble et qu'elles ne permettent pas de restituer fidèlement la charpente en élévation.

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