Abilly, "Le Petit-Paulmy"


Jean-Claude Marquet, Laure-Anne Millet-Richard

Alors que les ateliers de taille pressigniens témoins du débitage de grandes lames de silex à la fin du Néolithique (entre 2800 et 2400 ans avant notre ère) sont connus depuis la fin du 19e siècle, l'existence d'habitats contemporains de cette production a été longtemps méconnue. Le Petit Paulmy est le premier site de ce type fouillé dans la région pressignienne.

Situé sur le versant de la rive droite de la Claise, à l'entrée est du bourg d'Abilly, le Petit Paulmy fait partie, avec l'habitat du Foulon, de toute une aire d'habitations et d'activités de l'homme préhistorique. Ceci est attesté par le grand nombre d'outils ramassés dans cette zone et par l'existence d'autres aires d'habitat révélées soit par des observations aériennes, soit par des sondages dans lesquels la coexistence de tessons de céramiques et d'outils en silex sur lames de « livres de beurre » (pour ce terme, voir Millet-Richard 2014) a été démontrée.

En 1955, quatre archéologues ont fait le point sur les ramassages de surface effectués au Petit Paulmy (CORDIER et al. 1955). Les auteurs ont décrit une abondante industrie lithique se composant de nucléus «livres de beurre» et d'outils variés tels des fragments de poignards sur lames de «livres de beurre» (document 1), des grattoirs... qui se retrouvent pour l'essentiel dans l'industrie découverte au cours de nos campagnes de fouille. Ils ont signalé également de nombreux tessons de poterie découverts en surface ou lors de sondages (en 1933 par P. Geslin et en 1948 par F. Berthouin et P. Joannès). Les auteurs considéraient alors ce site comme un lieu d'habitat et de taille du silex. Cette station pouvait, selon eux, «être considérée comme une des plus intéressantes du terroir, sinon la plus riche et la plus variée de toutes». Des tranchées, ouvertes en 1958 dans la partie nord de la parcelle par Raoul Daniel, ont permis à Marie-Claire Cauvin d'observer l'association d'outillage en silex sur lames de « livres de beurre » et de tessons de céramique parmi lesquels des fragments de cuillères indiquant bien l'existence d'activités domestiques au pays des grandes lames de silex et l'appartenance de ces ensembles à la fin du Néolithique (CAUVIN 1961). Les fouilles récentes confirmeront ces avis, même si ce n'est qu'une très faible partie du site qui a, jusqu'à maintenant, été véritablement explorée.

Une habitation et un atelier de taille

Dix campagnes de fouille depuis 1982 ont permis la mise au jour de vestiges indiquant des traces d'occupation, sur tout le versant, depuis le Paléolithique jusqu'à l'époque gallo-romaine. L'aire domestique du Néolithique final est située vers le haut de la pente sans être directement sur le plateau. L'intérêt de cette découverte permettant d'espérer la découverte d'un lieu de vie des artisans-tailleurs pressigniens a justifié une fouille et une analyse approfondies. Ainsi, les vestiges ont été interprétés comme une habitation dans laquelle des hommes ont également taillé du silex (MARQUET, MILLET-RICHARD 1995).

L'habitat est attesté par la présence de deux foyers situés l'un, à l'extérieur de la construction l'autre, à l'intérieur, mais il est impossible d'affirmer leur caractère strictement contemporain. Ce second foyer a livré des tessons possédant encore un placage d'éléments organiques issus de la nourriture cuite. L'atelier de taille du silex est attesté par l'abondance et la répartition des produits de débitage, particulièrement autour du foyer interne, et surtout par un certain nombre de raccords d'éclats ayant subi des accidents de taille. Des calages de poteaux confortent l'hypothèse de l'existence d'une construction.

Répartition spatiale des objets

Les relevés tridimensionnels précis de tous les objets découverts à la fouille permettent de proposer l'hypothèse d'une reconstitution de la construction.

La répartition verticale des artefacts montre une disposition en large nappe d'objets, de forme lenticulaire, dont l'épaisseur maximum se trouve sensiblement au niveau de la structure et qui va en s'amincissant vers l'extérieur et ceci dans toutes les directions sauf vers l'est où la paroi de la construction a limité la dispersion des vestiges.

La répartition horizontale des artefacts (objets lithiques et céramiques) de la couche d'occupation en place (c'est en fait un niveau comprenant du mobilier lithique nettement plus frais que dans les couches supérieures et une absence de tessons des périodes historiques) montre un semis d'objets d'une densité extrêmement variable d'une zone à une autre, qui plaide en faveur d'un sédiment peu ou pas remanié (une lentille uniforme aurait laissé supposer un mélange aléatoire).

La plupart des blocs observés sont associés en petits groupes, quelquefois situés autour d'un espace vide de quelques 15 à 20 cm de diamètre. Après décomposition du bois dans ce milieu sableux extrêmement agressif (très oxygéné et acide), il ne reste plus, pour identifier la présence du poteau, que l'emplacement des blocs du calage. Pour certains poteaux seulement, il a été possible d'observer une différence de nature entre le sédiment du trou du poteau et celui dans lequel ce trou avait été creusé.

Selon notre hypothèse, tout un ensemble de calages dessine un ovale de 11 mètres de longueur et de 5,50 mètres de largeur. Ces calages soulignent l'emplacement de la paroi de la construction. A l'intérieur de cet ovale, et disposés selon son grand axe, plusieurs calages indiquent la position des poteaux qui soutenaient l'arête faîtière de la charpente. En dehors de ces calages qui ont permis de dessiner le plan au sol de la construction, d'autres calages situés tant à l'intérieur qu'à l'extérieur pourraient y appartenir et participer ainsi au soutien de poteaux. Il est cependant impossible d'affirmer qu'ils appartiennent à la même construction. En effet, même si aucune autre trace de foyer n'a été découverte et que la lentille d'objets ne semble pas déborder de cet ovale, les perturbations au sud de la construction provoquées par les occupants de l'âge du Bronze et des périodes historiques (peut-être gallo-romaine) doivent nous inciter à la prudence.

L'observation des sédiments rencontrés au cours de la fouille a non seulement permis d'observer des variations verticales tout à fait normales dans un gisement stratifié mais aussi des variations horizontales beaucoup moins fréquentes dans les gisements archéologiques. Une hypothèse est proposée : un plancher positionné sur une grande partie de la surface de la construction aurait empêché les particules fines du torchis de se répartir dans le sable environnant au moment de l'effondrement des murs.

L'industrie lithique du site

L'ensemble du matériel lithique (niveau en place et niveau supérieur plus perturbé) de l'aire domestique du Néolithique final représente environ 30000 objets taillés parmi lesquels 18600 mesurant plus de 3 cm ont été repérés en trois dimensions.

Les «livres de beurre» caractéristiques des ateliers du Grand-Pressigny ont, sur ce site, presque toutes été reprises pour débiter des lames à talon lisse et parfois également des éclats. Des éclats de mise en forme des nucléus «livres de beurre» ont été identifiés. Certains raccords ont pu être faits entre des éclats qui se trouvaient près du foyer. Parmi eux se trouvent de grosses esquilles accidentellement détachées des éclats à la suite d'une percussion violente et qui ont pu être raccordées aux éclats d'où elles provenaient (accidents dits «en nacelle»). Les longueurs de ces esquilles étant inférieures aux dimensions des outils les plus petits, ces pièces ne peuvent avoir été transportées jusqu'à ce foyer dans le but de s'en servir pour l'outillage ; il s'agit donc ici de la preuve de la taille du silex sur place, dans cette construction.

La fouille n'a bien sûr pas livré de grande lame entière issue de « livre de beurre » mais de nombreux fragments de ce type de lames. Les lames entières, produites par des artisans-tailleurs possédant un très haut niveau de savoir-faire, étaient en effet très majoritairement conservées pour être diffusées en dehors de la région pressignienne et transformées en poignards (voir MILLET-RICHARD 2014). Les grandes lames entières et non retouchées ne se trouvent donc que dans des dépôts correspondant à des stocks non encore emportés vers des régions plus éloignées ; seulement deux de ces dépôts ont à ce jour été découverts dans la région pressignienne, sur la commue de Barrou (CHAUVEAU 1951 ; GESLIN, BASTIEN, MALLET 1975 ; PELEGRIN 1997).

Le nombre d'éclats de mise en forme de « livres de beurre », croisé avec les variétés de couleurs de silex des déchets de taille issus de cette même chaîne opératoire, montre que le nombre de « livres de beurre » mises en forme et débitées dans l'habitat est finalement très faible : pas plus d'une quarantaine. Selon les expérimentations de J. Pelegrin, cela ne représenterait que 15 à 20 jours de travail pour une personne, c'est-à-dire très peu de temps comparé à la durée d'occupation d'une maison (MARQUET, MILLET-RICHARD 2013).

Les outils, au nombre de 503, représentent environ 5 % de l'ensemble du matériel lithique (15894 pour le niveau en place). Les plus représentés sont les encoches (essentiellement sur éclats) et les éclats retouchés. Viennent ensuite les poignards sur lames de « livres de beurre » ou lames à talon lisse. Des fragments de poignards, cassés lors de la retouche ou lors du réavivage, trouvés dans l'habitat, attestent qu'au moins une partie de ces outils a été fabriquée sur place. Des éclats ramassés parmi les déchets de taille et quelques rares belles lames de nucléus plats ont servi de supports aux scies à encoches. Les analyses tracéologiques d'un échantillonnage de matériel ont montré que les outils, mais aussi des éclats, avaient essentiellement été utilisés sur du bois, de l'os et de la peau mais que la découpe de viande était par contre peu abondante, au moins autour du foyer intérieur (BEUGNIER, SKAKUN in MARQUET, MILLET-RICHARD 2013).

Certaines catégories typologiques (racloirs, grattoirs) présentent une grande variabilité de choix de supports et de retouche : ce sont apparemment essentiellement des outils opportunistes, faits lors des besoins, avec les éclats dont disposaient les tailleurs.

L'habitat du Petit Paulmy, par son faible nombre de «livres de beurre» mises en forme et débitées sur place, est comparable au site du Foulon distant de seulement quelques centaines de mètres. Ces observations soulèvent la question du lieu de vie des artisans-tailleurs : ces derniers habitaient-ils d'autres maisons dans la région pressignienne ou n'y venaient-ils que périodiquement pour débiter les grandes lames qu'ils auraient eux-mêmes transportées vers des régions plus éloignées (voir MILLET-RICHARD 2014)?

La céramique du site (d'après MARTINEAU et CONVERTINI in MARQUET, MILLET-RICHARD 2013)

La plupart des tessons de céramique se répartissent sur environ 4 m2 dans la partie est de la zone fouillée, autour du foyer intérieur. Le reste de la fouille n'a surtout livré que quelques petits tessons usés. Les diagrammes de répartition horizontale et verticale des tessons montrent la grande concentration au niveau du foyer et la dispersion dans toute l'épaisseur de la nappe d'artefacts confirmant l'unicité d'occupation de cet espace.

Les tessons correspondent à presque une centaine de vases différents parmi lesquels des vases tronconiques ou hémisphériques, des écuelles, des assiettes, des coupes, une cuillère et une fusaïole. Le plus grand vase reconstitué mesure plus de 40 cm de haut. Son diamètre à la base est de 26 cm et de 36 cm au sommet. Sa forme est sub-cylindrique. La panse est légèrement galbée. Une languette horizontale de préhension est située à 40 mm du bord (document 2).

Les analyses typo-technologiques (R. Martineau) et pétrographiques (F. Convertini) des céramiques indiquent plusieurs chaînes opératoires mais deux grands groupes de poteries (poteries tronconiques ou en tonneau, à fonds plats, et groupe des formes hémisphériques aux parois moins épaisses). L'absence de chamotte dans les pâtes différencie cet ensemble de la culture de l'Artenac présente dans l'ouest de la France, avec des influences dans l'Indre comme le montre le site des Vaux à Moulins-sur-Céphons (Indre) qui présente de fortes affinités mais aussi des différences avec cette culture (KRAUZ, HAMON 2007).

La majorité des pâtes des céramiques indiquent une provenance locale, dans un rayon de 5-6 km, sauf deux vases originaires du Massif Central qui témoignent de contacts possibles avec ces populations plus éloignées.

L'organisation de la construction. Hypothèses

L'espace intérieur de l'habitation-atelier comprend trois grandes parties : la zone du foyer, celle du plancher hypothétique et les espaces occupés par les aires de rejets.

Au fond du foyer intérieur qui a livré une quantité impressionnante de mobilier, plusieurs espaces circulaires vides pourraient correspondre aux emplacements où étaient installés les récipients à fonds plats.

La zone interprétée comme un plancher occupe la plus grande partie du reste de l'espace. Le plancher sort de l'habitation vers le nord, ce qui permet de penser à l'existence de deux ouvertures tournées vers le foyer extérieur (si celui-ci est bien contemporain, ce qu'il n'est pas possible d'affirmer). La répartition du mobilier comparée aux différences de sédiments interprétées comme un plancher permet de proposer des axes de circulation autour desquels le mobilier aurait été repoussé. Dans la partie centrale de l'habitation, entre les deux zones de passage, et entre deux poteaux axiaux, se trouve une zone circulaire de moins d'un mètre de diamètre presque dépourvue de déchets de taille, devant laquelle s'étend une zone extrêmement riche en mobilier. Deux grands fragments de lames cassées ayant servi notamment à caler une sorte de petite tablette constituée de trois pierres plates empilées ont été trouvés à proximité. L'hypothèse émise pour cette zone est celle d'un emplacement de tailleur et de son amas de déchets de taille.

A partir des relevés des décapages il est possible de proposer une interprétation de la construction. Celle-ci aurait une forme ovale d'environ 11 m de long sur 5,50 m de large. Le mur, vraisemblablement en terre crue, serait constitué d'un clayonnage s'appuyant sur un peu plus d'une vingtaine de poteaux. Ceux-ci ont un diamètre compris entre 15 et 20 cm. Six poteaux supplémentaires placés à l'intérieur de la construction serviraient à soutenir le faîte de la charpente, très probablement recouverte de végétaux débordant largement du mur afin de le protéger des pluies. Il est indéniable que dans cette habitation, des activités de taille ont été menées, comme l'indiquent l'organisation de son espace, la quantité d'éclats et les raccords effectués à partir d'éclats ou de fragments d'éclats. Ainsi, quelques « livres de beurre » ont été débitées par un ou plusieurs artisans-tailleurs en une ou plusieurs sessions de taille, puis ont été reprises, par eux ou d'autres tailleurs, pour débiter des produits plus courants afin de répondre à leurs besoins domestiques. Les reprises de bonne facture pourraient aussi bien avoir été menées par les artisans que par d'autres tailleurs. A contrario, celles présentant des accidents de taille attestent un niveau de savoir-faire nettement moindre et émanent donc de tailleurs peu expérimentés.

Les outils ont au moins en partie été retouchés sur place. Autour du foyer interne, des supports (éclats, lames) bruts et des outils retouchés ont servi à travailler le bois, l'os, et la peau mais ce foyer ne semble pas lié à une activité de boucherie. Cette dernière pourrait avoir été pratiquée dans un autre secteur de la maison mais les analyses tracéologiques ont essentiellement porté sur le mobilier de la zone foyère.

Voir aussi :
- Extraction du silex et débitage de grandes lames à la fin du Néolithique dans la région du Grand-Pressigny
- L'habitat au Néolithique (5500-2100 av. n.-è.)

mentions légales | Haut de page

Contact
Sommaire
Auteurs
Glossaire
Bibliographie générale
Recherche