L'imposition des églises paroissiales et des établissements monastiques d'après le compte de décimes de 1329


Hugo Meunier

Par sa vision centralisatrice, l'administration pontificale a conservé et archivé une masse considérable de documents administratifs divers, dont de nombreux comptes fiscaux (décimes, annates...) où figurent des listes de bénéfices. Malgré la tentative de Jacques de Font-Réaulx, au milieu du 20e siècle (FONT-REAULX 1960), ces dernières n'ont jamais fait l'objet d'une cartographie rigoureuse et systématique. C'est pourquoi le LAMOP, soutenu par l'Agence Nationale de la Recherche, a relancé l'exploitation de cette documentation, dans le cadre d'un projet d'atlas de la chrétienté médiévale (http://histoiredebulles.net/).

Qu'est-ce qu'une décime ?

La décime est une imposition sur les bénéfices ecclésiastiques (biens et revenus attachés à une fonction spirituelle) mise en place par la papauté afin de financer la croisade et dont le profit était généralement accordé aux princes laïcs qui s'engageaient à défendre la foi chrétienne. La première décime, appelée « dîme saladine » fut levée à l'occasion de la troisième croisade en 1188. D'abord extraordinaire, cette charge devient quasi annuelle à partir du 14e siècle. Dès lors, elle fut fréquemment détournée de sa vocation originelle et utilisée à des fins exclusivement politiques.

Le compte de 1329

Les cartes de la notice se fondent sur une copie du 15e siècle d'un compte de décimes pontificales qui renseigne l'ensemble de la province ecclésiastique de Tours. Conservée aux Archives du Vatican (Arm. XXXIII, n° 10), elle fut publiée par Auguste Longnon, parmi les nombreux documents rassemblés sous l'intitulé de « pouillés » dans la collection du Recueil des Historien de la France (LONGNON 1903). Le compte faisait référence à une période comprise entre juillet et septembre 1329. Il pourrait correspondre à la deuxième année de la double décime accordée au roi de France Philippe VI par le pape Jean XXII, en juillet 1328 (CAUSSE 1988 : 271).

L'assiette du prélèvement était constituée des revenus de chaque bénéfice, après déduction de toutes les charges afférentes, telles que l'entretien des bâtiments et du titulaire du bénéfice (FAVIER 1966a : 104). Le montant de ces revenus nets faisait l'objet, par les agents de la Chambre apostolique, d'une estimation appelée taxatio (taxe). La décime correspondait au dixième de la taxe et non au dixième de tous les revenus. Il faut noter que la taxatio a été abaissée de moitié par Urbain V en 1363 en raison de l'appauvrissement des temporels (SAMARAN, MOLLAT 1905 : 18). Dans la copie du compte, les montants d'origine furent alors révisés et correspondent au vingtième de la taxatio établie au début du 14e siècle.

Le compte se présente sous la forme de deux colonnes, bénéfices et montants de la décime, réparties dans différentes rubriques emboitées qui se calent sur les circonscriptions ecclésiastiques : diocèse, archidiaconés, puis doyennés ou archiprêtrés. S'y ajoute, généralement, une liste de bénéfices exempts qui dépendent directement de la juridiction du Saint-Siège, à ne pas confondre avec une quelconque exonération de taxe. En principe, seuls les cardinaux et l'ordre hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem n'étaient pas assujettis à la décime, mais le roi pouvait dispenser certaines communautés (VIARD 1888 : 208). On remarque également l'absence des bénéfices liés aux hôpitaux et léproseries.

Lorsqu'un établissement étranger au diocèse y détenait des terres ou des revenus, il était lui-aussi taxé pour ces biens (CAUSSE 1988 : 433). C'est pourquoi, il est fait mention de l'abbaye Saint-Florent de Saumur ou Sainte-Croix de Poitiers dans les décimes du diocèse de Tours. Enfin, dans chaque circonscription, les prieurés et les abbayes forment une liste séparée du reste des bénéfices, facilitant leur identification.

Ainsi, par ces quelques privilèges et le mode de calcul de la taxatio, ce compte fiscal est loin d'être exhaustif et documente uniquement la tranche moyenne et haute des bénéfices. Ceux qui échappent au prélèvement de l'année 1329 sont difficiles à identifier en l'absence de dépouillements systématiques des sources de la fin du Moyen Âge. Une recherche sélective de bénéfices qualifiés de non taxatur dans les lettres pontificales de Jean XXII montre qu'il s'agissait essentiellement de chapellenies (60%) et d'établissements de taille modeste. Toutefois, des bénéfices importants, dont l'entretien était coûteux, pouvaient se trouver exemptés.

Analyse des montants de la décime et de leur répartition spatiale

Un compte de décimes de 1313 rend possible une comparaison à l'échelle du royaume de France (doc. 1). La valeur moyenne de la décime par diocèse est de 3434 livres et la densité atteint 193 deniers/km². Dans le même temps, les établissements du diocèse de Tours sont tenus de payer 4080 livres pour une densité de 173 deniers/km². En 1329, ces montants s'élèvent respectivement à 4438 livres et 188 deniers, soit les chiffres les plus élevés de la province ecclésiastique (doc. 2).

Dans un rayon de 3 km autour de la ville de Tours, on dénombre 19 établissements cumulant 2346 livres de charges, soit 53% du total diocésain. A elles seules, la cathédrale (chapitre et évêché), la collégiale Saint-Martin de Tours et l'abbaye de Marmoutier représentent près de 49% du total (2160 livres). On observe, par conséquent, une forte concentration de la décime à proximité de la cité (carte 1 et carte 2, doc. 3 et doc. 4). A leur niveau, des agglomérations secondaires comme Amboise ou Loches exercent aussi ce type de polarisation. Le reste de la décime se déploie amplement dans les vallées, là où la densité des établissements est la plus élevée (axe ligérien en aval de Tours, mais aussi vallée de la Vienne et du Cher).

Malgré une certaine homogénéité, la répartition de la décime pour les seules églises paroissiales (moy. 2,3 livres) présente quelques traits caractéristiques. Un agrégat de valeurs élevées se trouve au nord-est du diocèse, autour de Reugny et de Nazelles ; un second plus au sud entre Sainte-Maure-de-Touraine et Neuilly-le-Brignon (doc. 5). Si l'on se fonde sur les limites communales de 1790 pour approcher les territoires liés à ces centres paroissiaux (GORRY 2008), ce qui constitue naturellement une approximation, on remarque que leur surface (23,3 km²) est plus vaste que la moyenne départementale (17,9 km²). Enfin, on observe, dans ces espaces, la faible présence d'établissements monastiques et canoniaux. Sur les 15 paroisses concernées, on dénombre seulement 3 prieurés. A contrario, l'agrégat de valeurs faibles qui se situe autour de L'Île-Bouchard, regroupe des communes de superficie plus modeste (13,1 km²) et on relève une forte densité d'établissements réguliers (1 abbaye, 9 prieurés pour 16 paroisses).

Concernant les prieurés, un chapelet de décimes élevées est visible dans l'est du diocèse à proximité de Nanteuil (doc. 5).

Enfin, il n'apparait pas de lien évident entre le potentiel agricole d'une commune de 1790 (BOUTIN 2008) et la densité de la décime, même en excluant les établissements urbains. Il faut néanmoins rappeler que le temporel associé à chaque église ou monastère est souvent morcelé et peut dépendre de plusieurs territoires paroissiaux, rendant incertain ce type d'approche.

Conclusion

La spatialisation des informations contenues dans le compte de décimes donne à voir une cartographie inédite du diocèse. Elle permet de préciser les structures territoriales, d'analyser le cadre bénéficial et de dresser la géographie fiscale des établissements.

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