Les inscriptions funéraires du haut Moyen Age (6e-9e siècles)


Cécile Treffort

Même s'il n'existe pour l'instant aucun inventaire exhaustif des inscriptions des 6e-8e siècles en Touraine, celles-ci semblent extrêmement rares et presque exclusivement funéraires. Il s'agit en particulier de l'épitaphe d'Aigulfus, du 6e-7e siècle, provenant de Mistrais (commune de Langeais) (document 1), et de l'endotaphe de Lupicina, découverte à Pussigny et attribuée au 7e-8e siècle (document 2). La situation change radicalement à l'époque carolingienne qui compte une douzaine d'épitaphes conservées ou documentées dans les archives, réalisées entre la fin du 8e et le troisième quart du 9e siècle, provenant toutes de Tours, à une exception près (Saunay) (carte 1). On connaît également la production littéraire d'Alcuin, abbé de Saint-Martin de 796 à sa mort en 804 et principal acteur de la réforme carolingienne, à qui l'on doit divers poèmes épigraphiques destinés à orner les murs de son monastère et deux épitaphes, dont la sienne. Après cette période faste, la production épigraphique se raréfie de nouveau, avec une seule épitaphe attribuée au 10e siècle.

Les inscriptions funéraires du haut Moyen Âge ne forment pas un ensemble homogène d'un point de vue matériel. On sait par la Vie d'Alcuin, rédigée vers 820, que son épitaphe était gravée sur une plaque de bronze. La plaque de Langeais, en grès, était vraisemblablement insérée à l'origine dans le couvercle d'un sarcophage. Pour le reste, on a utilisé du tuffeau (Pussigny) ou du calcaire plus dur pour les grandes épitaphes carolingiennes et les deux moellons inscrits, sur lesquels il reste des traces de mortier, de Tours. Leur mode de réalisation varie également : simple incision sur le tendre tuffeau, sorte de poinçonnage sur le grès dur, et sur le calcaire, sculpture profonde avec profil en V pour créer pleins et déliés par des jeux d'ombre et de lumière, ou creusement plus grossier de lettres avec un profil en U pour accueillir une incrustation de plomb dont, une fois altérée, la surface sombre tranche sur le calcaire blanc, pratique propre à Tours et Melle (Deux-Sèvres) au 9e siècle.

Le faible nombre de ces témoins épigraphiques invite à s'interroger sur le sens à donner à leur répartition dans le temps et l'espace. Or, l'inscription funéraire est un objet complexe, dont la dimension textuelle peut donner la clé. Le recours à l'écrit pour préserver sa mémoire, transmettre son nom à la postérité, interpeller le lecteur afin de bénéficier de ses prières, est en lui-même, dans une société faiblement alphabétisée, un acte fort, qui dénote une confiance infinie dans ce mode de communication. Seuls en font le choix ceux dont l'environnement de vie est un univers de lettrés. Cette remarque est confortée par des traits paléographiques et linguistiques qui se conforment aux usages du temps et dont l'évolution est fortement marquée, à Tours, par la réforme initiée par Alcuin à la fin du 8e siècle. L'affirmation confiante du rôle d'intercesseur d'Aigulfus à Langeais et les appels à la prière des inscriptions carolingiennes relèvent d'une même logique : porter témoignage d'un échange spirituel entre morts et vivants grâce à un écrit qui transcende le temps. Même l'usage de dater les inscriptions par année de règne ou année de l'incarnation (c'est-à-dire de la naissance) du Christ, système mis à l'honneur par les Carolingiens, trahit des habitudes savantes.

La culture écrite étant alors majoritairement affaire de clercs, on ne doit pas s'étonner de ce que, parmi la douzaine de défunts concernés, huit sont explicitement des hommes d'Eglise : diacre, sous-diacre, simple moine ou abbé à Saint-Martin de Tours, prêtre à Saint-Libert et à Saunay - où Adelramnus, qui a fondé l'église sur ses propres deniers, devait être de haute naissance. On trouve par ailleurs deux femmes, laïques, dont l'une, Adalberga, est qualifiée de femina, titre marquant, à l'époque carolingienne, un statut élevé dans la hiérarchie sociale (document 3). Malheureusement, l'absence de données biographiques et l'usage onomastique fondé sur des noms uniques interdisent d'appréhender précisément le milieu dans lequel évoluaient tous ces gens, même si leur familiarité vis-à-vis de l'écrit vient sans doute d'une formation destinée, à cette époque, à l'élite religieuse, administrative et politique du regnum Francorum. En Aquitaine, l'étude de la répartition des inscriptions a montré leur forte corrélation avec l'existence soit d'une communauté religieuse, soit d'un lieu d'exercice de l'autorité publique. Cette tendance pourrait se confirmer en Touraine puisque, mise à part la cité de Tours, Langeais et Saunay sont des vici cités par Grégoire de Tours, lieux d'émission monétaire à l'époque mérovingienne, Saunay devenant ensuite chef-lieu de viguerie.

À Pussigny, dont on ne sait pratiquement rien, l'endotaphe de Lupicina, par sa citation du psaume 132 et sa lecture de bas en haut, témoigne de l'érudition de son auteur (document 2). À Cravant, où subsiste une église ancienne, la très grande qualité du fragment épigraphique conservé montre qu'on y avait adopté, dès le début du 9e siècle, les standards de la réforme carolingienne (carte 1). Ces deux inscriptions pourraient ainsi conforter l'hypothèse d'un statut spécifique non seulement des individus qui les ont produites, mais également des lieux où elles ont été découvertes.

Au-delà de leur intérêt intrinsèque, les inscriptions funéraires du haut Moyen Âge, et plus généralement, toute trace écrite de cette période, pourraient donc devenir un indice signifiant pour l'établissement d'une hiérarchie des lieux dans la géographie politique du temps. Une telle constatation plaide incontestablement en faveur de la poursuite de l'inventaire de ces sources épigraphiques encore trop mal connues.

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