Abbayes et couvents d'origine médiévale


Elisabeth Lorans

En Touraine, les monastères et leurs dépendances ont beaucoup souffert des destructions post-révolutionnaires et peu d'entre eux offrent encore une emprise topographique bien lisible et des bâtiments bien préservés.

On peut distinguer deux grandes familles de monastères d'origine médiévale : les abbayes bénédictines et les maisons des ordres fondés aux 12e et 13e siècles (VAUCHEZ, CABY 2003).

Les vagues de fondation des abbayes bénédictines

Ces établissements ont été créés en trois périodes distinctes (CHEVALIER 1981 ; carte 1). D'abord, les premiers siècles de la christianisation voient la fondation d'un grand nombre de communautés d'importance variable dont très peu ont perduré sous une forme monastique : ce fut le cas de Marmoutier, deuxième monastère de l'Occident chrétien établi par saint Martin vers 370, et de Saint-Julien fondé à Tours au début de l'épiscopat de Grégoire (573-594). Mais d'autres communautés attestées par les œuvres de l'évêque ont disparu corps et biens avant l'an mil (à Sennevières ou Saint-Senoch, dans le Lochois, par exemple) ou ont survécu sous forme de communautés canoniales, comme Saint-Mexme de Chinon ou de simples églises paroissiales, comme Saint-Ours de Loches (LORANS 1996 : 60-62). Cela manifeste la vivacité du mouvement monastique des premiers siècles mais aussi son caractère très instable.

Une deuxième vague du haut Moyen Âge voit la création en 791 de Cormery, sur les bords de l'Indre, par la communauté de Saint-Martin de Tours qui devint elle-même canoniale peu après, et Cormery fonda à son tour Villeloin, en 850, sur les bords de l'Indrois (LORANS 1996).

Enfin, sept fondations voient le jour entre la fin du 10e siècle et les années 1130 : Bourgueil, qui appartenait au diocèse d'Angers (990), Preuilly (1001), Beaumont-lès-Tours, abbaye féminine (1002), Beaulieu-lès-Loches (1007), établi par le comte d'Anjou Foulque Nerra face à son château, Noyers (1031) puis Seuilly, d'abord simple prieuré (1095), enfin Turpenay, en forêt de Chinon (1127).

L'émergence des ordres nouveaux aux 12e et 13e siècles (carte 2)

La réforme conduite par Citeaux pour un retour à la règle bénédictine stricte se traduit en Touraine par quatre fondations dans des lieux reculés favorables au « désert » monastique : Fontaine-les-Blanches (1125), Baugerais (vers 1173), Moncé, abbaye de femmes (1209), et La Clarté-Dieu (1239).

Aux abbayes cisterciennes, s'ajoutent les fondations de chanoines réguliers : Aigues-Vives (1147), Gastines (1137), Bois-Aubri, ancien prieuré de Tiron (1139). Enfin, les Chartreux sont établis au Liget, en forêt de Loches, par Henri II Plantagenêt, et six prieurés relevant de l'ordre limousin de Grandmont sont fondés, également en milieu forestier : Clairfeuille, Hauterives, Notre-Dame-de-Bois-Rahier (soit Grandmont à Tours), Montaussant, Pommier-Aigre et Villiers. Au 12e siècle aussi, est créée une dizaine de commanderies relevant du Temple et de Saint-Jean-de-Jérusalem.

Le 13e siècle quant à lui est caractérisé par l'apparition des ordres mendiants qui, à l'inverse de leurs prédécesseurs, recherchent la proximité du monde séculier et s'installent donc en ville : Franciscains, Dominicains, Carmes et Augustins ont chacun une maison à Tours (GALINIE 1993 ; GALINIE 2007 : 397-398 ; MABIRE LA CAILLE 1981) et les premiers sont aussi implantés à Loches, ceci avant 1300.

Topographie monastique

La clôture est la première caractéristique d'un monastère afin de matérialiser les limites de cet espace consacré et d'en contrôler l'accès. Aujourd'hui, les plans cadastraux du 19e siècle plus souvent que les vestiges eux-mêmes permettent de restituer ces emprises de taille très variable : parfois très vastes pour les fondations les plus anciennes en milieu rural ou urbain (doc. 1 et doc. 2), évidemment beaucoup plus réduites pour les maisons des Mendiants établies en ville au 13e siècle, qui sont de petites communautés.

A l'intérieur de ces enceintes, l'organisation de l'espace s'est peu à peu rationalisée. Le tracé régulier des principaux bâtiments monastiques centrés autour du cloître a été élaboré dans la seconde moitié du 8e siècle et au début du 9e siècle et s'est peu à peu imposé en Europe. Les sources écrites comme les vues cavalières et les plans anciens, notamment ceux exécutés au 17e siècle pour tous les monastères bénédictins réformés par la congrégation de Saint-Maur-des-Fossés, permettent de restituer cette organisation médiévale et d'appréhender l'architecture de bâtiments aujourd'hui disparus ou très remaniés (MALOCHET 2000 ; PALACIOS 1993 ; TOURNADRE 1995) (doc. 3). En Touraine, tous les établissements masculins de l'ordre bénédictin furent réformés par les mauristes, hormis Seuilly.

En général, accolé au nord ou au sud de l'église abbatiale, le cloître compte trois ailes : la première, le plus souvent située à l'est, abrite la salle du chapitre surmontée du dortoir, la deuxième le réfectoire (doc. 4 et doc. 5) et la troisième le chauffoir, le cellier et/ou le vestiaire. D'autres constructions sont nécessaires à la vie de la communauté et à ses fonctions d'accueil : l'infirmerie, dotée de son propre lieu de culte et située à l'écart du cloître pour des raisons sanitaires ; l'hôtellerie, en général près de l'accès principal, mais aussi la maison de l'abbé, installé à l'écart des moines. S'ajoutent des dépendances diverses (cuisines, grange, écuries), des espaces funéraires, qui peuvent accueillir religieux et laïcs - en particulier les bienfaiteurs du monastère - ainsi que des jardins et des vergers (doc. 3).

Architecture

La grande majorité des édifices monastiques préservés en Touraine appartient soit aux 11e-13e siècles, soit aux 17e-18e siècles. Les seules églises abbatiales intégralement conservées sont celles de Saint-Julien de Tours et de Preuilly-sur-Claise (doc. 6) mais certaines ont laissé des vestiges remarquables comme la tour-porche de Saint-Paul de Cormery. Presque tous les cloîtres à galeries ont disparu ou ne subsistent que de manière partielle, comme à Saint-Julien ou Cormery (doc. 5). En milieu bénédictin, les mauristes ont largement reconstruit les bâtiments claustraux, souvent en y incluant l'hôtellerie et l'infirmerie, ainsi que le logis abbatial, et ce en adoptant le parti de constructions vastes et lumineuses (BUGNER 1984).

Des quatre maisons cisterciennes, Notre-Dame de La Clarté-Dieu, aux confins de la Touraine et du Maine, est la mieux conservée bien que l'église ait été arasée (TOURNADRE 2005). Le bâtiment des convers présente à l'étage un dortoir couvert d'une charpente datée par dendrochronologie de 1274 alors que le logis abbatial a été reconstruit vers 1730 (doc. 7).

A l'exception des ruines de l'église édifiée vers 1220, La Chartreuse du Liget témoigne de l'ampleur des reconstructions du 18e siècle avec sa vaste enceinte, le cloître et le logis abbatial (doc. 8). En contrebas de la Chartreuse, la Corroirie, qui accueillait les frères convers, présente une église des années 1220 et des bâtiments civils dont la construction et les transformations s'échelonnent de la fin du 12e siècle à l'époque moderne et qui furent notamment fortifiés pendant les Guerres de Religion (doc. 9).

Parmi les prieurés grandmontains, Villiers est le seul à avoir préservé une grande partie des bâtiments médiévaux, dont l'église, le seul aussi à maintenir vivant l'ordre de Grandmont dans la France contemporaine (doc. 10). Bois-Aubri, fondé comme prieuré de l'ordre de Tiron, présente encore une église, tronquée, et une belle salle capitulaire (doc. 11).

Des fouilles extensives, telles celles qui sont menées à Marmoutier (LORANS, CREISSEN 2014), pourraient seules révéler les états successifs de ces ensembles architecturaux souvent complexes et, pour les fondations les plus anciennes, les formes d'organisation ayant précédé l'adoption du carré claustral qui s'impose au plus tard vers l'an mil.

Les sites les mieux préservés sont pour la plupart ouverts à la visite, qu'ils relèvent du domaine public ou privé.

Voir aussi :
- Chinon, la collégiale Saint-Mexme
- Tours, monastère de Marmoutier

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