Les fortifications de terre médiévales et leurs avatars : perspective historiographique


Elisabeth Zadora-Rio

Carte 1

Cet inventaire inclut les mottes (probables ou douteuses) ainsi que les enceintes de terre attribuables au Moyen Age. Il ne comprend pas, en revanche, les plates-formes entourées de fossés en eau qui peuvent représenter des vestiges de maisons-fortes (ou parfois simplement un jardin entouré d'un vivier) : bien qu'elles subsistent en grand nombre (parfois plusieurs par communes), elles n'ont jamais été répertoriées en Touraine, à l'exception de celles qui supportent des manoirs en élévation et qui ont fait l'objet d'études architecturales (Salamagne 2013).




Document 1

AMBOISE, la Butte de César ou Motte aux Connils (photographie prise en 1943, d'après Cordier 1995, fig.5)

La polyvalence des tertres artificiels est bien illustrée par les interprétations successives de la « Butte de César » ou « Motte aux Connils », qui subsiste à Amboise sur le plateau des Châtelliers, à l'extérieur du château : considérée aujourd'hui comme un tumulus du premier âge du Fer (Cordier 1995 :116 ; Milcent 2012 ; Laruaz 2012), elle a souvent été interprétée comme motte dans la bibliographie (Deyres 1974 ; Dubois 1978 : 628), et cette interprétation militaire du site est ancienne.

Il est possible que l'existence de cette butte ait inspiré, dès le milieu du 12e s., le récit fantaisiste de l'auteur du Liber de compositione castri Ambaziae, qui raconte qu'Avicien, "comte" de Touraine contemporain de saint Martin, vers la fin du 4e s., construisit un palais au sommet de l'éperon qu'il entoura d'une fortification constituée de deux mottes, l'une au sud, l'autre au nord, reliées par un très grand fossé (Chroniques des comtes d'Anjou et des seigneurs d'Amboise, éd. Halphen et Poupardin, Paris 1913, p 8). C'est, du moins, l'hypothèse formulée (non sans réserves) par le voyageur Dubuisson, qui propose, dans le commentaire d'un croquis qu'il a réalisé en 1635, d'identifier la Motte aux connils avec l'une des deux mottes prétendument construites par Avicien (voir Document 2).

Dans l'état des lieux dressé en 1761 lors de l'acquisition de la baronnie d'Amboise par le duc de Choiseul, la Motte aux connils est interprétée comme une plate-forme d'artillerie : elle y est désignée par le terme de « cavalier », c'est-à-dire, selon la première édition (1694) du Dictionnaire de l'Académie française, une « sorte de fortification de terre fort élevée et où l'on met des pièces de canon, soit pour l'attaque, soit pour la défense d'une place ». Ce procès-verbal, qui signale aussi l'existence d'un mail, déjà figuré en 1635 sur le croquis de Dubuisson, précise qu'en 1746 le commandant du château a fait construire au sommet de la butte un belvédère qui est décrit en détail : « un cavalier appellé vulgairement la motte aux conils où est actuellement un joly petit belvédère élevé sur le sommet dudit cavalier, entouré d'une plantation d'arbres artistement distribués que feu monsieur Ferrant, commandant du château, a fait faire en conséquence de la permission qui luy a été accordée par monsieur le duc d'Antin, suivant le brevet du vingt un juillet mil sept cent quarante six. Contenant iceluy cavalier cent trente trois toises de circonférence autour duquel sont élevées quatre terraces. Ledit belvédère à cheminée, éclairé de vingt trois petites croisées et son entrée par une porte au midy, grenier dessus du pavillon couvert d'ardoises, éclairé de deux petites lucarnes en bois, au midy, au dessus de la porte contenant dix sept pieds carrés de dehors en dehors » (ADIL, C 950, f°13v°, transcription aimablement communiquée par Lucie Gaugain).

L'existence d'un mail (ou jeu de pail et mail, selon l'expression de Dubuisson) et d'un belvédère, ainsi que l'aménagement paysager de la Motte aux connils dont fait état le procès-verbal de 1761, indiquent donc qu'aux 17e et 18e s. cette partie du plateau des Châtelliers, extérieure au château, a été aménagée en lieu d'agrément, peut-être pour la garnison du château. L'appellation de la Motte aux connils fait peut-être référence à un usage antérieur (non documenté) de cet espace comme garenne seigneuriale dans la dépendance du château.




Document 2

AMBOISE, le plateau des Châtelliers en 1635 (©Bibliothèque Mazarine, ms. 4406, f°188).

Ce croquis a été réalisé en 1635 par François-Nicolas Baudot, dit Dubuisson d'Aubenay, gentilhomme de la Chambre du roi, mémorialiste et auteur de récits de voyage (ca 1590-1652). Dans la légende en latin qui accompagne le plan, l'auteur décrit la topographie du plateau des Châtelliers à son époque tout en s'efforçant de l'interpréter à la lumière du récit du Liber de compositione castri Ambaziae, rédigé vers le milieu du 12e s. (cf. Document 1).

Traduction de la légende (lettres P à T)

P - Emplacement extérieur au château, en partie ruiné et dégagé, abandonné alors à un long fossé, assez large, emplacement qui pourrait avoir eu, aux extrémités, les deux mottes d'Avicien.

Q - Motte forte, l'une des deux mottes d'Avicien. Mais ce n'est pas vraisemblable ainsi, du moins à cause du fossé précédent [NdT : celui dont il vient de parler en P] qui ferme le castrum de César. A proximité de cette motte, vulgairement appelée la Mote aus Connils, se trouve la tour au mur de pierres.

R - Croix auprès d'une mare ou fosse remplie d'eau appelée vulgairement La Fontaine St Florentin à partir de laquelle, à la suite, est un jeu de pail et mail, un pailmail, noté par des doubles points.

S - Une maisonnette ou petite ferme appelée vulgairement la cense ou clozerie de la Mote, soit du fait de la proximité de la motte marquée Q, soit parce que là fut située l'autre motte d'Avicien. Que s'il en est ainsi, l'autre motte devait être à T. Mais je préfère croire qu'elle était visible vers XZ.

ST - Rempart de terre ayant encore 30 pieds de haut, plein de pierres : en fait, long de mille pas et plus. Par derrière, vers l'orient, est un fossé profond. Le rempart romain est marqué par les lettres [ST] et le camp de César, vulgairement appelé la creste des Chastelliers, est marqué [par les lettres] RQP. Il est occupé tout entier par des vignes.

(Transcription et traduction obligeamment effectuées par J.-M. Gorry)




Document 3

PORT-DE-PILES (Vienne), Grouin (d'après Montrot 1936)

Le site de Grouin, au confluent de la Vienne et de la Creuse à Port-de-Piles (Vienne), aux confins de l'Indre-et-Loire, est répertorié dans la bibliographie tantôt comme tumulus et tantôt comme motte (Montrot 1936). On y voit deux tertres (dont l'un très aplani), dépourvus l'un et l'autre de toute trace de fossé. Un léger relief longé par une dépression, qui barre le confluent, pourrait représenter la trace d'en enclos autour des deux tertres. Deux notices du cartulaire de l'abbaye de Noyers (n°479 et 562) mentionnent l'existence d'un castrum construit à Grouin au milieu du 11e s. par Hugues de Sainte-Maure. R.Crozet, qui indique que le site était appelé la Motte-Grouin au 18e s., cite une estimation de la métairie de Grouin, datée de 1586, qui y mentionne « ... une grosse mothe faicte en forme de forteresse entienne... » (Crozet 1971). Les vestiges visibles sont-ils ceux d'une nécropole à tumulus ou d'une fortification médiévale, ou encore des deux ? On peut penser qu'un notaire du 16e s. était davantage familiarisé avec les mottes qu'avec les tumulus et qu'il a pu se tromper. Seule une fouille permettrait de trancher la question.




Document 4

PONT-DE-RUAN, Château-Robin (photo J. de Maistre)

A Pont-de-Ruan, au lieu-dit Château-Robin (section A2 du cadastre de 1819), près de la limite de la commune de Saché, au sommet du coteau qui domine la vallée de l'Indre, se trouve une motte entourée d'un fossé, puis d'un gros rempart de terre qui est lui-même longé par un second fossé. La hauteur du rempart dépasse celle de la motte, qui est taillée dans la roche et qui paraît avoir été amputée par un éboulement de la falaise, Sous la motte, quatre étages de galeries conduisant à de grandes salles troglodytes ont été ménagés dans la falaise (Mauny, Cordier 1967 : 79-82). Ce même site est signalé par Carré de Busserolle (1878-1884) sous le nom de la Motte-aux-Caves-Forts, près de La Chevrière à Saché.




Document 5

LIMERAY, le Mont Luma (plan cadastral napoléonien, s.d., section B1) (photo A.D.I.L.)

La motte, qui est signalée par J.-G.Sainrat (1985) et qui est représentée sur le plan cadastral, est localisée au sommet de la falaise calcaire, creusée de troglodytes, qui domine le village de Limeray. Située dans un épais fourré, elle est actuellement inaccessible.




Document 6

FONDETTES, Montboyau (photo E. Lorans)

Sur le site de l'oppidum protohistorique de Montboyau, une haute motte encore partiellement entourée par un fossé a été construite à l'extrémité est du rempart de terre qui barre l'éperon situé au confluent de la Loire et de la Choisille. Les sources écrites indiquent que le comte d'Anjou Foulque Nerra construisit à Montboyau une fortification, qualifiée d'oppidum et de castrum firmissimum, qui fut assiégée en 1026 par Eudes de Blois, et que le comte d'Anjou s'engagea ensuite à détruire en échange du renoncement d'Eudes à la ville de Saumur (Halphen 1906 : 37-38, 42-44). Une carte postale du début du 20e s. montre que la motte, qui est située dans le parc du domaine de Belle-Vue, supportait alors un belvédère dont toute trace a disparu.




Document 7

MONTBAZON, Bazonneau (plan cadastral de 1819, section B2) (photo A.D.I.L.)

A Bazonneau, une motte, entourée d'un fossé, subsiste à environ 500 m du château de Montbazon. Elle est située à l'extérieur du dispositif fortifié, sur le rebord du plateau qui domine l'Indre. Il pourrait s'agir d'une motte de siège, ou encore, peut-être, d'une fortification satellite tenue par un fidèle du comte, comme dans le cas de la Motte-Foucois à Amboise, dont toute trace a disparu (Lorans 1996 :97, Dalayeun 2013).




Document 8

MORAND, Le Defois (photo E.Lorans)

Le site, signalé par J.-G.Sainrat (1983, 1985), se trouve dans le bois du Defois au nord-ouest du village de Morand. La motte, circulaire et peu élevée, est située sur la rive nord d'un étang représenté sur la carte au 1/25.000. Elle est entourée d'un large fossé qui était sans doute alimenté en eau.




Document 9

AUZOUER-EN-TOURAINE, Le Grand Moléon (photo J.Dubois 1979)

L'enceinte du Grand Moléon, délimitée par une levée de terre et un fossé (Dubois 1979 : 64-65 ; Sainrat 1985), a été retenue sans autre argument que sa ressemblance avec les petites enceintes circulaires médiévales fouillées ailleurs, notamment en Normandie, qui ont révélé une grande variété de fonctions (de l'exploitation agricole à la résidence aristocratique fortifiée) et des datations très diverses.




Document 10

AMBOISE, Les Grandes Entes (relevé P. Nehlig)

Dans la forêt d'Amboise, au lieu-dit Les Grandes Entes, se trouve une grande enceinte ovalaire (170m x 125m) signalée par J.-M. Couderc (1984 : 777-778) et figurée sur la carte IGN au 1/25.000, dont le relevé a été effectué en 1986, dans le cadre du PCR sur les fortifications de terre. Elle est délimitée par deux levées de terre d'une hauteur de 1 à 1,50 m séparées par un fossé d'environ 5 m de large, peu profond, interrompu au sud par une brèche. Un puits est visible à l'intérieur de l'enceinte. La présence de quelques tessons du 14e s., découverts dans un chablis au cours des relevés, permet de supposer une phase d'occupation de l'enceinte à la fin du Moyen Age.




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