L'administration générale et fiscale d'Ancien Régime : la généralité et les élections


Jean-Michel Gorry

Avant de présenter l'administration générale et fiscale des provinces françaises d'Ancien Régime, c'est-à-dire la généralité et ses élections, il convient de dire ce qu'est la circonscription élémentaire sur laquelle elle s'exerce : une institution bien plus ancienne que les niveaux administratifs supérieurs.

La communauté d'habitants

Sous l'Ancien Régime, la cellule de base de l'organisation sociale est la communauté d'habitants. Dans les textes contemporains, on l'évoque souvent par la formule « les villages, les bourgs et les villes ». Sur elle, devrait s'exercer l'administration civile, indépendamment de l'Église. Mais comme elle a toujours existé conjointement avec la paroisse depuis le Moyen Âge, que les curés relaient localement le pouvoir royal, que la plupart des habitants qui la composent se pensent et pensent le monde à travers une vision chrétienne, le terme de paroisse est généralement utilisé par les contemporains pour désigner l'administration civile générale. Si bien qu'à la fin de l'époque moderne, il est encore difficile de faire la distinction entre les deux administrations. À partir du 17e siècle, les officiers royaux et les commis de l'État perçoivent de mieux en mieux la nécessité d'utiliser une expression ou un mot particulier pour se référer à l'administration générale et fiscale, preuve d'une prise de conscience de plus en plus nette qui ne s'exprimera vraiment qu'au siècle suivant. Il ne s'agit pas de « laïcité » au niveau du village, mais seulement de bien séparer le temporel et le spirituel ; d'où les expressions de paroisse fiscale et paroisse à clocher. La confusion risquant de demeurer, l'emploi de l'expression communauté d'habitants ou du mot collecte est devenu plus courant au 18e siècle. La collecte, c'est le territoire sur lequel s'exerce la levée de l'impôt effectuée par les collecteurs d'une communauté d'habitants. La plupart du temps, dans les campagnes, le territoire de la collecte se confond avec le territoire paroissial. Mais dans les villes ou gros bourgs qui représentent une unité administrative, les paroisses sont souvent multiples et la présence d'un « corps de ville », avec maire et échevins, permet plus facilement d'éviter les confusions. La réforme des Assemblées provinciales, en 1787, décida la formation de municipalités dans toutes les communautés. Ainsi se trouva préparé le passage de la communauté à la commune. Défini et imposé par la constitution du 3 septembre 1791, le mot commune remplaça alors officiellement celui de communauté. Si les paroisses, comme on l'écrit encore trop souvent, étaient les ancêtres des communes de France, Preuilly-sur-Claise aurait formé trois communes et la ville de Tours pas moins de douze !

Dans « les villages, les bourgs et les villes », la communauté d'habitants n'est pas dépourvue d'existence juridique ni d'administration. Même dans le moindre village, c'est une personne morale qui possède des terres - les communaux - qui entretient le lavoir, le clocher, la nef de l'église et le cimetière, qui peut emprunter et aller en justice, etc. Elle se réunit en assemblée générale formée des principaux chefs de famille ; le notaire en dresse procès-verbal ; elle procède à l'élection de son syndic qui la représente en permanence. Chose qui surprendrait de nos jours, elle répartit elle-même l'impôt de la taille sur ses contribuables. Rappelons le fonctionnement sans entrer dans les détails : le roi en conseil des finances décide du montant de l'impôt selon les besoins (c'est le brevet de la taille) ; puis, localement, le bureau des finances de la généralité effectue le département de la taille, c'est-à-dire qu'il fixe la part demandée à chaque division administrative (les élections) ; ces dernières, sous le contrôle de l'intendance, fixent les impôts de chaque collecte. Il est tenu compte des capacités financières des collectes supposées connues par diverses enquêtes. Chaque année, l'assemblée des habitants désigne les collecteurs de l'impôt chargés, à tour de rôle, de le répartir sur chaque foyer fiscal (le feu) en dressant un rôle de taille, c'est-à-dire la liste nominative des chefs de feux avec le montant de leur imposition. Il reste aux collecteurs, responsables sur leurs propres deniers, de devoir faire la collecte, donc de recouvrer l'impôt.

Généralités et intendances

- Origine des généralités à la fin du Moyen Âge

Circonscriptions de création plutôt récente si on les compare aux bailliages, les premières généralités, définies par rapport aux provinces, ont été instituées aux 14e et 15e siècles. Elles correspondaient aux quatre charges confiées aux généraux des finances et aux trésoriers de France : Languedoc (à Montpellier), Outre-Seine-et-Yonne (à Paris), Normandie (à Rouen) et Languedoïl (à Tours). Avant le 16e siècle, on distingue les recettes ordinaires venant de la gestion du domaine royal proprement dit et les recettes extraordinaires qui proviennent de l'ensemble du royaume. Ces dernières sont appelées ainsi car elles étaient destinées à l'origine au financement des dépenses de guerre selon les besoins du roi qui levait alors des deniers, mais à titre exceptionnel. En matière d'impôt, le provisoire est appelé à durer ; par suite d'une longue évolution qui ne peut être détaillée dans le cadre de cette notice, ces ressources « extraordinaires » sont devenues trois impôts principaux : la gabelle (sur le sel), les aides (joli nom pour l'impôt indirect), la taille (impôt direct). Ce sont ces impôts qui se trouvèrent confiés à quatre généraux des finances à la tête des quatre charges citées plus haut. Elles correspondaient à quatre circonscriptions que l'on ne tarda pas à nommer généralités à cause des généraux qui les dirigeaient (les quatre trésoriers de France s'occupaient de la partie domaniale dans chacune des généralités). La plus grande - la grand'charge - était celle de Languedoïl qui regroupait de nombreuses élections déjà présentes dans les provinces (les élections sont antérieures aux généralités) : Laval, Le Mans, Châteaudun, Orléans, Blois, Vendôme, Tours (avec une recette des tailles à Chinon et une élection sans recette à Loches), Angers, Poitiers (avec une sous-recette à Châtellerault), Saumur, Loudun, Bourges, Angoulême, La Rochelle ; elle comprenait aussi la Nivernais, le Bourbonnais, le Bas et Haut Limousin (avec le Franc-Alleu), la Combraille, la Haute et Basse Auvergne, et même la vaste province de Guyenne qui en fut détachée en 1523.

- Généralités et intendances de l'époque moderne

Des nombreuses réformes de François Ier en matière de finances, on retient habituellement l'édit du 7 décembre 1542 qui précise, dans son article premier, que seront establies seize receptes générales ès villes de Paris, Châlons, Amiens, Rouen, Caen, Bourges, Tours, Poitiers, Issoire, Agen, Toulouse, Montpellier, Lyon, Aix, Grenoble et Dijon ; ce nombre devait s'accroître régulièrement comme l'administration du Royaume et l'accroissement de son territoire jusqu'à atteindre 37 à la fin de l'Ancien Régime. Les généralités étaient désignées par le nom de leur chef-lieu : on doit donc dire et écrire : généralité de Tours (et non généralité de Touraine ou de Maine, Anjou, Touraine).

Ces « recettes générales », ces généralités, avaient été conçues pour la répartition et le recouvrement du brevet de l'impôt du roi, c'est-à-dire l'estimation du montant de l'impôt direct de la taille personnelle, ancêtre de l'impôt sur le revenu, comme il a été dit ci-dessus. Mais assez vite, le pouvoir royal étendit leur rôle et elles sont devenues les grandes circonscriptions de l'administration générale. Elles ont constitué le cadre essentiel de la centralisation progressive de la France. On en voit bien le projet se dessiner par la qualification des agents royaux destinés à les diriger. En effet, d'abord commissaires du roi « départis dans les provinces », ils deviennent après 1618, puis définitivement en 1635, intendant « de justice, police et finances ». Par bien des aspects, de même que les généralités rappellent le découpage régional, les intendants font penser aux préfets de la République.

L'intendant est nommé par le roi qui peut le révoquer quand il veut. Il est tenu à la résidence dans le chef-lieu de sa généralité. C'est un grand serviteur de l'État. Sous l'Ancien Régime, il a fini par établir sa mainmise sur presque tous les domaines de l'administration :

- les finances constituent sa première responsabilité. Il doit non seulement répartir l'impôt et le faire rentrer, mais encore superviser les taxes et exercer sa tutelle sur les communautés d'habitants et les officiers royaux ;

- il est chargé de surveiller les officiers de justice et d'une façon générale de faire respecter les intérêts des justiciables ;

- la police est aussi dans ses attributions. Il est responsable du maintien de l'ordre. Pour cela il surveille l'opinion publique et peut requérir la maréchaussée. En fait, il contrôle un peu tout dans la société : les collèges, le logement des troupes chez l'habitant, voire les protestants.

- à partir de la fin du 17e siècle, il faut ajouter le rôle important joué par les intendants dans le développement économique et social qui trouva son épanouissement au 18e siècle : réseau routier, industrie et commerce, agriculture... Malgré les vives critiques de nombreux contemporains confrontés à leur rôle réformateur et centralisateur, l'action des grands intendants de la fin de l'Ancien Régime (Blossac à Poitiers, Tourny à Bordeaux, Turgot à Limoges, Du Cluzel à Tours) est aujourd'hui positivement appréciée.

Le terme d'intendance pour désigner la généralité n'est devenu d'usage courant qu'à partir du 18e siècle. À Tours, intendance et généralité sont parfaitement synonymes, tout comme à Poitiers ou Orléans. Mais ce n'est pas toujours le cas (par exemple le Languedoc forme une seule intendance avec deux généralités : Montpellier et Toulouse).

La généralité de Tours était une des plus étendue du Royaume et regroupait le Maine, l'Anjou, la Touraine et au sud le Loudunais ainsi que le Mirebalais (carte 2). Formée de seize élections, elle est restée très stable jusqu'à la Révolution.

Les élections et subdélégations

La Touraine, l'Anjou, le Poitou, le Berry, l'Orléanais, le Maine étaient, sous l'Ancien Régime, des pays d'élections, c'est-à-dire des provinces dans lesquelles l'impôt de la taille était réparti par des agents royaux appelés « élus ». Ces élus, ou plus tard les subdélégués, avaient pour mission principale de connaître leur circonscription pour en évaluer les richesses. Pour cela, généralement deux fois pas an, ils partaient en chevauchées, cherchant à apprécier les revenus de chaque communautés d'habitants, lesquelles, on l'imagine, ne faisaient pas étalage de richesses. Elles ne manquaient pas de grossir les difficultés dues aux aléas climatiques et à l'infertilité du sol. Les plaintes étaient nombreuses. On trouve des élus dans les provinces dès le 14e siècle, mais c'est seulement à partir du 15e siècle que des circonscriptions spéciales, les élections, leur sont attribuées. Après la formation des généralités en 1542, le rôle des élus est assez vite devenu honorifique face au pouvoir croissant des intendants qui nommaient des subdélégués dans chaque élection pour les seconder.

Les élections constituaient aussi le ressort de tribunaux pour les affaires relevant de l'imposition directe de la taille ou pour les contentieux relatifs aux aides, taxes diverses sur de nombreux produits. Toutefois ce rôle devint de plus en plus faible au 18e siècle et même négligeable à la veille de la Révolution.

La généralité de Tours comprenait seize élections : Amboise, Angers, Baugé, Château-du-Loir, Château-Gontier, Chinon, La Flèche, Laval, Loches, Loudun, Le Mans, Mayenne, Montreuil-Bellay, Richelieu (Mirebeau jusqu'en 1634), Saumur et Tours (carte 1 et carte 2).

Les élections, en tant que circonscriptions financières, ont connu, du 16e au 18e siècle, quelques variations. La principale est la création de l'élection de Richelieu par la volonté du Cardinal désireux de fournir à sa nouvelle ville et à son château somptueux un cadre administratif. On peut noter aussi une importante modification de l'élection de Château-du-Loir par échange avec celle de Vendôme (dans la généralité d'Orléans), signalée dans le commentaire de la carte de la généralité.

mentions légales | Haut de page

Contact
Sommaire
Auteurs
Glossaire
Bibliographie générale
Recherche