Les forêts tourangelles au Moyen Age d'après les sources écrites


Gaelle Jacquet-Cavalli

Les variations de la superficie des forêts

Afin d'étudier l'implantation, l'extension et l'exploitation des forêts au Moyen Age, des sources de diverses natures ont été consultées : chroniques, actes royaux, archives de l'administration forestière (surtout à partir du 15e siècle), comptes royaux et comptes de seigneuries, cartulaires ecclésiastiques, aveux, terriers, censiers, registres de propriété, série Q (vente des biens nationaux), plan anciens et cadastres (document 1, document 2) (JACQUET-CAVALLI 2003 : 44-77). Les sources ecclésiastiques étant les plus nombreuses, elles renseignent particulièrement les forêts dans lesquelles le clergé régulier et séculier avait des intérêts, ce qui entraîne une disparité importante dans notre connaissance des forêts médiévales.

La superficie couverte par la forêt au Moyen Age semble avoir été plus importante que de nos jours, malgré la progression constatée depuis le 19e siècle (carte 1). En effet, de nombreuses forêts sont connues (carte 2), même si les sources concernent principalement celles de l'est et du nord de la Touraine.

Les sources écrites font mention de défrichements dès le haut Moyen Age. Ainsi, les comtes de Blois et de Vendôme, à partir du 9e siècle, commencent à mettre en valeur, directement ou indirectement, les forêts de Blémars et de Gâtine en y implantant des châteaux, des établissements ecclésiastiques et des bourgs pour asseoir leur pouvoir, et créer de nouvelles ressources. De grandes opérations de défrichement sont ainsi attestées dans ces forêts du 9e au 13e siècle et la zone forestière s'est considérablement amoindrie en l'espace de quatre siècles (JACQUET-CAVALLI 2003 : annexe 3 -XXVII et XLIII). La forêt de Chenevose fait également l'objet de défrichements au cours de cette période, organisés notamment par l'abbaye de Marmoutier (JACQUET-CAVALLI 2003 : annexe 3-XXXIX). Des sources plus tardives montrent la mise en valeur de terres au détriment de la forêt de Chédon au 13e siècle, à l'initiative de l'abbaye de Villeloin, du seigneur de Montrésor et de plusieurs petits seigneurs laïques (JACQUET-CAVALLI 2003 : annexe 3-XXXVI).

De nombreuses mentions plus ponctuelles éclairent des défrichements faits un peu partout en Touraine du 10e au 13e siècle, auxquels ont participé laïcs, ecclésiastiques et paysans, même si la contribution de ces derniers reste difficile à évaluer (JACQUET-CAVALLI 2003 : 523-538). La participation des établissements ecclésiastiques dans les défrichements a été plus ou moins forte selon l'importance de leurs possessions forestières et leurs choix. Les bois reçus en don ne sont en effet pas systématiquement défrichés, et on leur octroie d'ailleurs plus souvent des terres déjà mises en valeur. Les abbayes de Marmoutier, de La Trinité de Vendôme et de Villeloin semblent avoir été les plus impliquées dans les défrichements. Seuls les Grandmontains (à Villiers, Bois Rahier, Pommier-Aigre, Montoussan, Clairefeuille, Hauterives et Fontmore) s'installent réellement dans les bois, comme le veut leur règle, tout en gardant une importante zone boisée autour de leur prieuré. Les défrichements des 10e-13e siècles semblent avoir très majoritairement abouti à la création de tenures, et donc à une gestion indirecte. Ils se sont souvent accompagnés de la création d'habitats dispersés (désignés par les termes d' « hébergement », de « gagnerie » ou de « plessis »).

Un mouvement de déprise semble avoir existé sur le territoire tourangeau de la deuxième moitié du 14e siècle à la première moitié du 15e. Les terres laissées en friche sont cependant rapidement remises en valeur (deuxième moitié du 15e siècle) : on ne peut donc pas parler de reconquête forestière, la période de déprise n'ayant pas été suffisamment longue pour le retour d'une véritable forêt. Au contraire, certains bois anciens sont même déboisés sur de larges surfaces aux 15e et 16e siècles (JACQUET-CAVALLI 2003 : 510-523). Ainsi, en 1554, la partie de la forêt de Chédon appartenant à l'abbé de Saint-Julien, qui est donnée à défricher, fait 130 arpents (soit 66,3 ha). En forêt de Bréchenay, les défrichements concernent 2200 arpents (1122 ha), entrainant la disparition d'une grande partie de cette forêt, ceux des Clairais plus de 500 (255 ha) et 200 (102 ha) pour le bois Saint-Maurice. Ces opérations planifiées ont pu engendrer des parcellaires réguliers encore visibles sur le cadastre dit napoléonien (JACQUET-CAVALLI 2003 : 115-116). Ces défrichements peuvent s'expliquer par les besoins de la reconstruction, l'état de certains peuplements ayant pu souffrir de la désorganisation de l'exploitation et des abus durant le relâchement de la surveillance des bois, mais également par l'augmentation démographique, clairement sensible en Touraine au 16e siècle, aussi bien en ville qu'à la campagne. Cette augmentation démographique a entraîné une consommation en bois accrue, ainsi qu'une pression plus importante sur les espaces forestiers, qui a pu dégrader les peuplements au point qu'il était devenu plus rentable de les défricher. La croissance démographique a entraîné également des besoins supplémentaires en céréales et autres denrées, qui remettent en cause l'équilibre entre forêt et terres cultivées. Un nouvel équilibre a donc dû être trouvé, passant par la réduction des droits d'usage et par des défrichements.

Droits d'usage et règlements forestiers

Les forêts médiévales fournissaient diverses ressources dont l'usage était réglementé : bois de chauffage et de construction, mais également tan, gibier, abeilles et oiseaux, châtaignes, glands et faines, herbe.

Certains animaux d'élevage - essentiellement des porcs et des bovins - étaient nourris en forêt. L'autorisation de pâturage pour les chèvres, notamment dans la zone de Loches, est une particularité tourangelle, car elles sont rarement admises en forêt dans d'autres régions. Les lapins étaient également élevés en forêt : les garennes seigneuriales, attestées au 13e siècle dans la zone d'étude, se multiplient à la fin du Moyen Age et à l'époque moderne. D'abord utilisé pour désigner de vastes réserves de chasse, royales ou seigneuriales (MARTIN-DEMEZIL 1971 : 455), qui pouvaient inclure non seulement des forêts mais des terres cultivées et des prés, le terme de garenne prend de plus en plus souvent à partir des 13e-14e siècles le sens d'enclos destiné à l'élevage d'animaux en semi-liberté, ou encore de monticule artificiel construit pour favoriser la reproduction des lapins (ZADORA-RIO 1986).

Le pâturage (ruminants) et la paisson (nourrissage des porcs quand la glandée est suffisante) faisaient l'objet de droits d'usage qui ont été réduits par les propriétaires à la fin du Moyen Age en raison de l'augmentation du nombre d'usagers. Cette réduction s'est traduite en quantité (transformation de droits en rentes en argent, suppression de droits non prouvés lors de réformations, limitation du prélèvement par usager, limitation du nombre d'usagers par des critères d'ancienneté...), mais également en surface dans certains cas, pour permettre la coupe de certaines parties du bois, par le principe du cantonnement ou triage. Par ce système, qui se généralise à la fin du Moyen Age, une partie du massif concerné revenait en toute propriété aux usagers, l'autre restant au propriétaire, mais purgé de tout droit d'usage (JACQUET-CAVALLI 2003 : 277-279).

L'accès aux ressources forestières pour les non propriétaires passait donc par les droits d'usage, par le bail ou l'achat. On pouvait ainsi louer un petit bois globalement pour son usage, mais plus généralement, on baillait séparément ou par groupe les herbages, la paisson et le pâturage, voire les redevances qui y étaient liées. Jusqu'aux 12e-13e siècles, l'affermage de la paisson et du pâturage constituaient les principaux revenus de la forêt. Les redevances, généralement d'un à trois deniers par porc adulte dans la zone d'étude, et ce sans variation entre le 13e et le 16e siècle, ne sont alors plus suffisantes pour contrebalancer le coût économique et écologique pour la forêt de ces pratiques, même en y ajoutant le montant des amendes perçues pour les délits (JACQUET-CAVALLI 2003 : 262-263).

Au Moyen Age, les coupes annuelles concernaient essentiellement les taillis, dans des secteurs qui étaient précisés chaque année. Ces ventes annuelles sont généralisées dès le 14e siècle, et apparaissent donc sans doute antérieurement. Ces taillis fournissaient notamment du combustible et du bois pour le travail de la vigne. Les futaies faisaient plutôt l'objet de prélèvements ponctuels ou de ventes extraordinaires, quand le propriétaire avait un besoin particulier en bois de construction ou en liquidités. La coupe ordinaire des futaies ne commencerait donc à se mettre en place qu'à partir du 16e siècle. Mais ces coupes de bois, mêmes ponctuelles, engendraient des conflits avec les usagers, à l'origine des premiers cantonnements (JACQUET-CAVALLI 2003 : 267-269).

Les massifs forestiers ont fait l'objet d'une protection précoce. Ainsi, une surveillance des bois a existé dès le début du Moyen Age, et une législation royale s'est progressivement mise en place. Si l'on observe déjà quelques ordonnances au 13e siècle, c'est en 1346 que celle de Brunoy organise une administration particulière pour les Eaux et Forêts et en 1376 que Charles V, avec l'ordonnance de Melun, précise les règles d'exploitation des bois (préservation de baliveaux, révolution des taillis, clôture des coupes après exploitation...). Ces règles édictées par le roi semblent avoir été pour une bonne part déjà respectées par les divers propriétaires forestiers tourangeaux, et ce dès le siècle précédent.

Ainsi, certaines espèces étaient protégées et ne devaient pas être coupées : les arbres fruitiers, incluant chêne, hêtre et châtaignier, ce dernier étant protégé non seulement pour les châtaignes, mais également pour les besoins de la viticulture (fourniture d'échalas, tonneaux...). Des zones entières de la forêt étaient exemptes de droits d'usage et préservées des coupes, permettant de conserver des zones de futaie, notamment pour la chasse : « les défens », attestés dès le 12e siècle et très courants dès le siècle suivant en Touraine (JACQUET-CAVALLI 2003 : 277, 413-415). Des règles de coupe étaient également imposées aux exploitants : ne pas couper en temps de sève, couper à ras de terre pour éviter l'épuisement de la souche, clore les parties coupées pour éviter que les jeunes pousses ne soient abîmées par le gibier et le bétail, en général pendant 3 ans, laisser certains arbres debout (baliveaux) pour permettre la régénération naturelle, pratique attestée en forêt de Loches dès le 13e siècle. Les droits d'usage eux-mêmes participaient à l'entretien de la forêt : par l'élimination des « morts bois », ils favorisaient le développement du chêne et le prélèvement du bois mort limitait les risques d'incendie. Le panage (ou droit de mener les porcs en forêt) et la paisson étaient par ailleurs très contrôlés : temps variable d'autorisation de pénétrer dans les bois, rationalisation des parcours par la mise en place d'itinéraires obligatoires et limités en nombre (JACQUET-CAVALLI 2003 : 407-423).

On voit donc que l'exploitation des forêts tourangelles au Moyen Age était réglementée en vue de préserver la ressource et n'était pas du tout une activité prédatrice. Les difficultés de mise en œuvre de ces règles d'exploitation sylvicole à partir des Temps Modernes, en raison de la pression démographique, poussent le pouvoir royal, à la fin du 17e siècle, à les réaffirmer et à les systématiser pour l'ensemble des massifs forestiers français : c'est l'ordonnance de Colbert, en 1669, faisant suite à une enquête menée sur l'ensemble du territoire pour observer l'état des forêts, qui se révèle préoccupant. En Touraine, cette « Réformation » a eu lieu en 1666-1667. L'application de cette ordonnance, voulue notamment pour augmenter la production de bois d'œuvre, et en priorité celui nécessaire pour la Marine royale, a eu un impact très positif sur l'état du peuplement forestier tourangeau et sur le développement de la futaie et du taillis sous futaie, même si la mise en œuvre de certaines directives, notamment concernant le balivage, a pu avoir des conséquences en termes d'évolution de l'importance respective des différentes essences dans les massifs forestiers de notre zone d'étude (JACQUET-CAVALLI 2003 : 479-484).

Voir aussi :
- Approvisionnement des villes et marché du bois à la fin du Moyen Age

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