Les dépôts métalliques de la fin de l'âge du Bronze (1150-800 av. J.-C.) : une fonction rituelle ?


Pierre-Yves Milcent

En Touraine comme dans la plupart des régions de l'ouest de la France, l'âge du Bronze fut longtemps connu essentiellement à travers les découvertes d'objets métalliques tantôt isolés, tantôt groupés en dépôts hors de toute sépulture. Ces objets proviennent autant de milieux humides (lits de fleuves et de rivières principalement) que de contextes terrestres. L'interprétation des dépôts métalliques de l'âge du Bronze selon une grille de lecture purement économique a longtemps prévalu : composés majoritairement d'objets intacts, il s'agirait de trésors cachés, composés d'objets brisés, de stocks de vieux bronzes destinés à la refonte. Dans tous les cas de figure, ces objets n'auraient pu être récupérés par leur propriétaire et leur abandon traduirait un contexte de crise et d'insécurité.

Cette manière de considérer le phénomène, très inspirée de la problématique des trésors monétaires de la fin de l'époque romaine, ne résiste plus aujourd'hui à une analyse détaillée (MILCENT 2004 : 53-60) : la plupart des dépôts de l'âge du Bronze - ceux de Touraine n'échappent pas à la règle - présentent des modalités de constitution qui se répètent et obéissent à une logique parfois complexe qui n'est pas exclusivement économique. Nombre d'objets ont par exemple été placés dans des contextes (milieux humides en particulier) qui rendaient impossible ou délicate leur récupération ; d'autres encore étaient certes récupérables en milieu terrestre, mais présentent des traces de destruction ou de mutilation volontaire alors même qu'ils présentent un aspect neuf ou peu usagé : ces pratiques ne sont pas sans évoquer celles que l'on observe parmi les offrandes d'objets métalliques des sanctuaires gaulois. Plus largement, la composition des dépôts en milieu terrestre suit des usages variant selon les périodes, les milieux culturels, et peut présenter d'étroites affinités avec les ensembles funéraires contemporains. Pour toutes ces raisons, les chercheurs privilégient aujourd'hui la thèse de stocks métalliques constitués essentiellement dans un cadre rituel. Dans la mesure où les objets concernés sont souvent des productions de grande qualité, et parfois d'origine très lointaine, la pratique des dépôts métalliques semble bien avoir été placée sous le contrôle étroit, sinon même exclusif, des élites de l'époque. La distribution des dépôts conforte cette interprétation dans la mesure où les concentrations concernent les abords d'établissements fortifiés et des zones particulièrement propices au contrôle de la production métallique ou des échanges à longue distance. Ces concentrations recoupent par ailleurs celles qui concernent les abandons contemporains d'épées en milieu humide.

La Touraine illustre bien ces phénomènes puisque les dépôts métalliques répertoriés sont particulièrement riches en objets rares et précieux, tels les pièces de harnachement équestre et de char de parade d'Amboise, Azay-le-Rideau, Esvres-sur-Indre et Onzain, les vases et cuirasses en tôle de bronze d'Amboise et Azay-le-Rideau pour ne prendre que quelques exemples. Les dépôts de Touraine présentent en outre presque systématiquement des productions importées, souvent dans des proportions importantes, et dont l'origine peut être très lointaine (objets languedociens à Azay-le-Rideau, italiques à Amboise, britanniques à Esvres-sur-Indre et Saint-Genouph, d'Europe du Nord à Azay-le-Rideau et Chédigny...), ce qui atteste du dynamisme et de l'extension des réseaux d'échange à travers toute l'Europe occidentale. De même, la répartition des découvertes est significative : dès le Bronze final 2 (-1150/-950 av.n.è.), dépôts terrestres et humides apparaissent concentrés autour d'un établissement d'éperon occupé et peut-être déjà fortifié à cette époque, le site des Châtelliers d'Amboise (carte 1 et document 1). Au Bronze final 3 (-950/-800 av.n.è.), si le secteur d'Amboise demeure privilégié, d'autres découvertes manifestent l'importance des vallées de la Loire, du Cher, de l'Indre, de la Vienne, et jalonnent probablement d'importantes voies de circulation terrestres et navigables (carte 2 et document 2). La densité et la richesse des dépôts métalliques du Bronze final 3 en Touraine sont remarquables, mais le phénomène n'apparaît pas pour autant limité à cette région : au 9e s. av. n.è., c'est en réalité toute la zone située dans le bassin inférieur du Cher et ses marges qui est concernée, depuis le sud de la Sologne jusqu'au confluent avec la Loire.

Un dernier aspect original des dépôts du bassin moyen de la Loire apparaît sans doute plus nettement en Touraine qu'ailleurs : il s'agit du basculement des influences et de la dynamique culturelle perceptible dans le courant du 10e s. av. n.è., à l'articulation du Bronze final 2 et 3. Alors que les objets métalliques retrouvés étaient souvent de style nord-alpin et traduisaient un développement d'influences venues de l'est au Bronze final 2, le renversement au bénéfice de productions atlantiques apparaît à la fois très ample et rapide à l'étape suivante, tandis que les importations d'origine lointaine semblent proportionnellement plus nombreuses. Cette situation traduit certainement une évolution profonde des réseaux d'échanges et une phase de grande prospérité des élites.

Voir aussi :
- Amboise : la ville gauloise et gallo-romaine
- L'habitat à l'âge du Bronze (2300-800 avant notre ère)
- Sépultures et pratiques funéraires de l'âge du Bronze (2200-800 av. J.-C.)

mentions légales | Haut de page

Contact
Sommaire
Auteurs
Glossaire
Bibliographie générale
Recherche