L'établissement du cadastre au 19e siècle


Jean-Michel Gorry

Bien avant la Révolution, un cadastre général de la France pour établir sur des bases justes et équitables la répartition de l'impôt foncier était réclamé et avait été envisagé. Les cahiers de doléances y font parfois références (Bossay-sur-Claise) et c'est un des premiers souhaits des États généraux de 1789. La levée de la contribution foncière, grande préoccupation des gouvernements révolutionnaires, nécessitait l'arpentage parcellaire pour imposer équitablement les propriétaires. C'était là une gigantesque entreprise qui, vu les circonstances, resta lettre morte. On ne parvint à mettre en place que des matrices cadastrales comportant de nombreuses inexactitudes et surtout, ne renvoyant à aucun plan. Ce fut un échec. L'arrivée au pouvoir de Bonaparte allait permettre de lancer l'établissement du cadastre français. Mais malgré sa volonté organisatrice, lui-même recula d'abord devant l'ampleur de la tâche et son coût : on allait d'abord tenter d'établir le cadastre par masses de cultures, avant d'en venir au célèbre parcellaire dit napoléonien.

1 - Le cadastre par masses de cultures (3 nov. 1802 - 12 déc. 1807)

Il s'agissait, après avoir délimité une commune, d'en lever le plan au 1/5000 et d'en assurer l'exactitude géométrique en déterminant la base de la triangulation par rapport aux clochers (ou tours de châteaux) du voisinage, de façon à l'intégrer dans la topographie générale. Ce plan, orienté au nord, qui devait rendre apparente la division en sections de la commune, devait aussi, en chacune de ses sections, regrouper les terres selon leurs cultures sans représenter les parcelles de chaque propriétaire (voir document 1). Cela formait donc des blocs - on disait des masses de cultures - identifiés par des numéros et des couleurs. On y écrivait aussi en toutes lettres : labours, bois, landes, prairies, vignes, etc. Les couleurs conventionnelles allaient du jaune pâle pour les terres labourables, au rouge pour les vignes en passant par toute une gamme de verts figurant les prés, landes, bois...les eaux étaient en bleu, le bâti en carmin. À l'intérieur de ces masses, chaque propriétaire devait déclarer la surface de ses biens.

Ce premier cadastre avait été décidé par l'arrêté du 3 novembre 1802 suivi le 24 novembre d'une Instruction détaillée pour son exécution. Toujours par souci d'économie, la commission chargée du projet avait proposé de tirer des conclusions générales à partir d'un échantillon. À cette fin, on avait prévu d'arpenter et d'évaluer les revenus de 1800 communes, tirées au sort en respectant une répartition départementale, de façon à obtenir un revenu moyen applicable à l'ensemble des communes ; dans le détail, le système était assez élaboré pour tenir compte des situations locales. Treize communes d'Indre-et-Loire furent ainsi choisies pour être délimitées, arpentées et évaluées (carte 1). Cependant il apparut très vite, face aux réalités du terrain et aux contestations, qu'il allait falloir arpenter toutes les communes. L'arrêté du 20 octobre 1803 prit cette décision. Une circulaire du 12 décembre 1807 mit fin à l'expérience. En Indre-et-Loire, un peu plus de 100 communes ont été ainsi arpentées ; à ce jour, les plans de 68 communes ont été retrouvés. Il convient de souligner l'intérêt historique de ces anciens plans, pour la plupart antérieurs de plus de 20 ans aux plans parcellaires.

2 - Le cadastre parcellaire (15 sept. 1807)

Bonaparte ne fut pas le seul à comprendre assez vite qu'un système aussi imprécis que le recours aux masses de cultures et aux déclarations des propriétaires était voué à l'échec. Devenu Napoléon Ier, il fit adopter la loi de finances du 15 septembre 1807 qui décida enfin l'établissement d'un cadastre parcellaire ; dans son esprit, c'était la garantie de la propriété individuelle et le complément du Code civil. Ce type de cadastre était réclamé par la majorité des propriétaires. On allait donc délimiter chaque parcelle et en calculer la contenance. Souvent, ce fut l'occasion de définir des parcelles qui ne l'étaient guère, voire de les réunir ou de les diviser. Chacune était délimitée et décrite par sa mise en culture et son propriétaire, puis évaluée selon sa fertilité ; le tarif du revenu imposable à l'hectare était voté par le Conseil municipal. Outre les plans parcellaires qui nous intéressent ici, le cadastre comprenait des matrices, répertoires des biens de chaque propriétaire, et des états de sections, répertoires des propriétés dans chaque section. Quant aux plans, ils formaient un atlas communal comprenant :

- les plans des sections au 1/2500, voire 1/1250 ou 1/1000 pour les bourgs et villes, en plusieurs feuilles de format grand aigle si nécessaire ;

- le tableau d'assemblage, c'est-à-dire le plan général de la commune indiquant les sections et les principaux éléments du bâti et de la topographie ; il est à l'échelle 1/5000 ou 1/10000 selon la surface de la commune.

Ces plans, souvent aquarellés, ont été dessinés avec soin et constituent des documents historiques de premier ordre (document 2).

L'établissement du cadastre parcellaire, canton par canton, s'est fait en deux périodes principales (carte 1):

- aux frais de l'État de 1808 à 1821. Au cours de ces 14 années, le déroulement des opérations, assez rapide au début, connut un fort ralentissement lors de la chute de l'Empire. Jusqu'en 1815, les cantons d'Amboise, d'Azay-le-Rideau, de Château-la-Vallière, du Grand-Pressigny, de Preuilly, de Tours-Nord et Tours-Sud ont été cadastrés (à quelques exceptions près visibles sur la carte). De 1816 à 1821, la très forte réduction du budget n'a permis de cadastrer que les cantons de Montbazon et de Vouvray ;

- aux frais des départements et des communes à partir de 1822. Cette nouvelle disposition fut mise en place par la loi de finances du 31 juillet 1821. Le Conseil général d'Indre-et-Loire vota dès 1822 le maximum de 3 centimes additionnels permis par la loi, de sorte que les opérations ont pu reprendre en 1823. Plus personne ne doutait de l'utilité du cadastre et le Conseil général apporta son soutien régulier pour les 14 cantons qui restaient. En 1837, le cadastre d'Indre-et-Loire était terminé.

Établi sur de simples déclarations ou sur la possession non contestée, le cadastre ne peut faire preuve de propriété dans les transactions au même titre que les actes notariés (eux-mêmes parfois contestables). Il a seulement valeur de présomption de propriété sans apporter de certitude sur ses limites. En revanche, au cours du temps, il a acquis une grande utilité publique pour tous les propriétaires et les agents administratifs. Ses plans parcellaires qui nous restituent, dans leur visage du début du 19e siècle, du plus petit village à la plus grande ville, sans parler de l'histoire de la propriété, de l'agriculture et des paysages, présentent un intérêt historique immense et très apprécié.

Voir aussi :
- Des communes de 1790 aux communes actuelles

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