Rigny-Ussé : la colonge de Rigny, centre d'exploitation d'un domaine rural de Saint-Martin de Tours aux 7e-8e siècles


Elisabeth Zadora-Rio, Henri Galinié

La fouille de l'ancien centre paroissial de Rigny, conduite entre 1986 et 1999 par le Laboratoire Archéologie et Territoires sur une superficie de 1100 m2, a révélé une longue séquence d'occupation, du 7e au 19e s. (ZADORA-RIO, GALINIE 1992, ZADORA-RIO, GALINIE 1995, ZADORA-RIO, GALINIE 2001).

Un sondage réalisé dans l'ancienne église paroissiale, qui date de la fin du 11e ou du début du 12e s., a révélé les vestiges de deux églises antérieures. De la plus récente à la plus ancienne, elles ont été désignées par les lettres Z, Y et X (ZADORA-RIO, GALINIE 2014a).

Sous le cimetière médiéval, qui a livré plus de 1700 sépultures, ont été mises au jour de vastes constructions des 7e et 8e s. L'occupation du haut Moyen Âge, qui était scellée sous une épaisseur de 2 à 4 m de dépôts archéologiques, a été subdivisée en deux périodes.

Période 1 (7e- 8e s.) : La colonica Riniaco et ses transformations

Période 1a (carte 2a)

Si la présence de tegulae et de nombreux tessons gallo-romains peu érodés révèle l'existence de bâtiments antiques à proximité, les structures les plus anciennes dans l'emprise de la fouille remontent au 7e s. Ces constructions présentaient des soubassements de pierre soigneusement maçonnés avec des parements en petit appareil :

- au sud, un vaste bâtiment (au moins 12 x 14 m) subdivisé par un mur de refend dont on sait peu de chose car il n'a été que très partiellement fouillé (bâtiment 33, carte 2a).

- au nord, le bâtiment 14, plus petit (10 x 6,80 m), subdivisé en compartiments de 2,30 à 2,50 mètres de côté, Les soubassements, soigneusement appareillés sur les deux faces, mesuraient 0,40 m de haut et l'élévation était en architecture de terre.

Période 1b (carte 2b)

Lors d'une deuxième campagne de construction, le bâtiment 14 a été considérablement agrandi par l'adjonction d'un nouveau corps de bâtiment à l'ouest.

La technique de construction des murs de ce nouvel état diffère sensiblement de celle du premier. Les murs du corps de bâtiment initial étaient maçonnés avec une quantité importante de mortier et présentaient un appareil de tradition antique (document 1). Ceux de l'Etat 2 sont liés à la terre, et le blocage comprenait de nombreux blocs de mortier solidifié provenant de la destruction d'un autre bâtiment (document 2).

Les datations par le radiocarbone établissent que l'Etat 1 du bâtiment est postérieur à 668 et la construction de l'Etat 2 antérieure à 776 ; l'étude de la céramique indique que ce bâtiment est resté en usage jusqu'au milieu du 8e s.

Au sud, le deuxième état du bâtiment 33 est marqué par la destruction du bâtiment primitif (suppression du mur de refend) et sa transformation en enclos. À l'intérieur de celui-ci, deux bâtiments de bois (34 et 35) étaient associés à des activités de combustion marquées par une épaisse couche de charbon de bois et de nombreuses fosses arasées (structure 36). La datation céramique attribue cette phase à la deuxième moitié du 7e s.

Au centre, la construction de l'église X est postérieure à celle du bâtiment 14 et antérieure à sa destruction. Elle est attribuée à la fin du 7e ou au début du 8e s. (ZADORA-RIO, GALINIE 2014a).

Période 1c (carte 2c)

Au sud, le bâtiment de pierre 32 remplace le bâtiment de bois 35, dans la première moitié du 8e s.(document 3). Il s'étend, au nord, en dehors des limites de la fouille. Sa durée d'utilisation a été brève puisqu'il a été détruit entre la fin du 8e et le milieu du 9e s.

Au nord, le bâtiment 14 se dégrade, connaît quelques aménagements sommaires (Etat 3) et commence à être utilisé pour les inhumations (avant 776) tandis qu'il tombe en ruines (ZADORA-RIO, GALINIE 2014b).

La nature de l'occupation

Les arguments archéologiques

L'usage de la pierre et la qualité de la maçonnerie des premières constructions (bâtiments 14 et 33) tranchent avec ce que l'on connaît des sites ruraux de cette époque.

Le passage de la Période 1a à la Période 1b est marqué par un changement important des techniques de construction entre le premier et le deuxième état du bâtiment 14, comparable à celui observé au sud entre le bâtiment 33 et le bâtiment 32.

Les bâtiments 14 et 32 ont pour points communs leur cloisonnement, la quasi-absence de traces d'occupation et la rareté de la céramique, qui est en général associée aux couches de destruction. Dans les deux cas, on suppose soit une occupation à l'étage, avec un rez-de-chaussée servant de vide sanitaire ou de lieu de stockage, soit une fonction de stockage exclusive.

Une partie du bâtiment 14 et le bâtiment 32 présentent au niveau du sol des compartiments de taille très réduite qui pourraient avoir eu pour fonction de supporter des charges lourdes, en les isolant contre l'humidité du sol. Il pourrait s'agir de greniers d'un type comparable à ceux qui ont été découverts lors des fouilles de la villa du Vernai à Saint-Romain-de-Jalionas (Isère) (carte 3) (ROYET et al. 2006 : 309).

Le plan complexe des structures bâties évoque certains bâtiments résidentiels à soubassements de pierre construits entre le 6e et le 8e s. qui ont été découverts dans la partie méridionale de la France et qui sont interprétés comme des centres d'exploitation domaniale (carte 4) (BOUCHARLAT 2001:327-353 et 371-398; CORNEC, FARAGO-SZEKERES 2010, ROYET et al. 2006: 316-319)

L'absence de dépotoirs domestiques et le faible nombre d'ossements animaux aux abords des bâtiments sont notables, de même que la qualité du mobilier collecté (céramique peinte et glaçurée, vaisselle de verre, objets personnels).

Les sources écrites

Le site de Rigny, au cours de la période 1, peut être identifié avec la colonica Riniaco mentionnée, avec les noms de sept tenanciers, dans les Documents comptables de Saint-Martin de Tours datés de la fin du 7e s. Cette identification, proposée dès le début des fouilles, s'appuyait alors uniquement sur les sources écrites. En 1139, un acte de confirmation du pape Innocent II indique qu'à cette date l'église de Rigny appartient à l'abbaye de Cormery, fondée en 791 par Ithier, abbé de Saint-Martin de Tours. Celui-ci a transféré alors au nouvel établissement un grand nombre de biens situés dans la vallée de l'Indre. Il paraissait donc plausible de voir dans la donation de l'abbé de Saint-Martin l'origine de la possession de l'abbaye de Cormery (ZADORA-RIO, THOMAS, JOUQUAND 1992 : 13-14). La découverte, depuis lors, de l'importance de l'occupation dès le 7e-8e s., et celle de l'existence, dès cette époque, d'un lieu de culte, permettent de tenir cette hypothèse pour acquise. Elle conforte l'interprétation selon laquelle les bâtiments 14 et 32 étaient destinés pour partie au stockage de produits agricoles. Il s'agit de structures domaniales du monastère.

Période 2 (milieu 8e- fin 10e s.). La destruction progressive des bâtiments et l'occupation funéraire

La période 2 (8e-10e s.) est marquée par la transformation radicale de la nature de l'occupation du site, dont la vocation devient presque exclusivement funéraire. Les inhumations au nord de l'église commencent sans doute au milieu du 8e s., et certainement avant 776 - c'est-à-dire avant le transfert de Rigny du patrimoine de Saint-Martin de Tours à celui de l'abbaye de Cormery en 791. C'est entre la fin du 8e et la fin du 10e s., que le cimetière connaît sa plus grande extension, avec une densité d'inhumations qui reste faible. Les sépultures occupent progressivement les ruines des bâtiments antérieurs et les espaces intermédiaires. Leur disposition rappelle les zones d'inhumations mises au jour dans les habitats ruraux du haut Moyen Âge. L'église, auprès de laquelle on inhumait pourtant, ne paraît pas constituer un pôle de concentration des sépultures.

La permanence d'un habitat proche de l'église après le 8e s. est attestée par la présence, dans la zone d'inhumation, de déchets et rejets de foyers et de structures domestiques.

A la fin du 10e ou au tout début du 11e s., l'église Y a remplacé l'église X. Sa construction coïncide avec un recentrage de l'espace funéraire autour du lieu de culte (ZADORA-RIO, GALINIE 2014b).

Conclusion

La fouille de Rigny, qui a permis d'entrevoir, pour la première fois, la réalité matérielle d'une colonica du haut Moyen Age, a montré que ces établissements pouvaient présenter des ensembles architecturaux importants pourvus d'un lieu de culte et de grandes capacités de stockage. Contrairement aux idées admises sur la pérennité de la construction en pierre, les bâtiments des 7e-8e s. n'ont duré que quelques décennies et ils ont connu, pendant cet intervalle, d'importants réaménagements et une transformation notable des techniques de construction.

La colonge de Saint-Martin de Tours a été implantée dans un milieu déjà fortement anthropisé comme l'indiquent à la fois les données archéologiques, qui attestent la présence d'un établissement du Haut Empire dans l'environnement proche, et les données paléoenvironnementales, qui témoignent de l'extension des cultures dans le vallon de Rigny depuis l'âge du Fer (LIARD et al. 2002). Elle n'évoque en rien un front de colonisation agraire, contrairement à l'hypothèse fréquemment avancée selon laquelle les colonges résulteraient de défrichements récents.

Voir aussi :
- Rigny-Ussé : les trois églises successives de Rigny (7e /8e s.-1859)
- Rigny-Ussé: la fouille de l'ancien centre paroissial de Rigny et les transformations du cimetière (milieu 8e s.-1865)
- Les structures de stockage médiévales

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