Extraction du silex et débitage de grandes lames à la fin du Néolithique dans la région du Grand-Pressigny


Laure-Anne Millet-Richard

Durant le Néolithique final, entre 2800 et 2400 ans avant notre ère, alors que la métallurgie apparaît en France avec des objets en or et en cuivre, des tailleurs possédant un haut niveau de savoir-faire ont exploité les dalles de silex du Turonien supérieur de la région pressignienne pour produire de grandes lames essentiellement destinées à la diffusion.

Ces gîtes de silex s'étendent sur une zone d'environ 25 km de long sur 20 km de large, limitrophe de l'Indre-et-Loire et de la Vienne (GIOT, MALLET, MILLET 1986 ; AIRVAUX, PRIMAULT 2002). L'abondance et la qualité du silex ainsi que son accessibilité ont favorisé son utilisation par les hommes depuis le Paléolithique. Le phénomène pressignien est en revanche caractéristique de la fin du Néolithique quand les tailleurs ont su obtenir de grandes lames avec une méthode de débitage adaptée aux caractéristiques de ces dalles. Ces dernières présentent en effet un cœur souvent mal silicifié impropre à la taille et seule la partie périphérique située juste sous le cortex est de bonne qualité. La méthode de taille mise au point uniquement dans cette région a laissé des vestiges spécifiques : les nucléus appelés « livres de beurre » par les préhistoriens de la fin du 19e s. en raison de leurs deux bords crénelés et de leur forme ovalaire rappelant les pains de beurre pressés dans les moules en bois (voir document 2).

Sur les versants des vallées, les artisans, leurs apprentis ou d'autres personnes habitant la région pressignienne extrayaient les dalles de silex de fosses d'environ 1 à 2 m de profondeur creusées dans l'argile d'altération du calcaire. C'est probablement à la belle saison, peut-être à la fin du printemps pour que l'argile soit encore assez plastique sans être trop humide et collante que cette phase du travail était menée. Le silex étant sensible au gel, les lames étaient très probablement débitées peu de temps après l'extraction, et en tout état de cause avant l'hiver.

La mise en forme avant le débitage des nucléus nécessitait deux principales étapes : la première, le dégrossissage, à l'aide d'un percuteur en pierre, et la deuxième, l'épannelage, par percussion indirecte. La connaissance des modalités de production et des niveaux de savoir-faire mis en œuvre pour ce débitage doit beaucoup aux études et aux expérimentations de Jacques Pelegrin (PELEGRIN 2002).

Les deux étapes de mise en forme des dalles et le débitage des lames pouvaient se dérouler directement sur le gîte de silex comme à Abilly sur le site de « La Grasse Coue » et «La Claisière » (MILLET-RICHARD 2001 ; VILLES 2005), ou sur deux sites différents. C'est ainsi que sur le gîte de silex de Val-Creuse à La Roche-Posay (Vienne), seuls des ébauches et des éclats correspondant à la première étape de mise en forme ont été mis au jour (FOUERE et al. 2002), tandis que sur les ateliers de «La Creusette» à La Guerche(VERJUX 1989) ou de «Bergeresse» à Abilly (VERJUX et al. 2007 ; VERJUX et al. 2008), ne sont présents que les éclats, les nucléus et les fragments de lames correspondant à l'épannelage par percussion indirecte et au débitage des lames.

Le niveau de savoir-faire mis en œuvre pour débiter les « livres de beurre », très élevé, était acquis après un long apprentissage. Seuls certains tailleurs pratiquaient ce débitage très spécialisé tandis que d'autres produisaient des éclats ou des lames plus courtes nécessaires à l'outillage courant. Plusieurs niveaux de savoir-faire ont ainsi été observés sur différents ateliers (MILLET-RICHARD 1997 ; PELEGRIN, IHUEL 2005 : 45-65 ; VERJUX et al. 2007 : 31-53). Les lames de « livres de beurre », mesurant de 24 à presque 40 cm de long, étaient très majoritairement destinées à la diffusion sur de longues distances: de nombreux poignards aménagés sur ces supports ont été découverts dans une grande partie de la France, mais aussi de la Suisse jusqu'aux Pays-Bas (MALLET 1992 ; 2009 ; DELCOURT-VLAEMINCK 1999 ; IHUEL 2009).

Si la connaissance des méthodes de production et de diffusion des outils sur lames en silex de la région pressignienne a bien progressé, des questions demeurent sur l'appartenance culturelle des artisans-tailleurs de « livres de beurre » ainsi que sur les liens entre leur lieu de vie et la région de production. Des ateliers de taille éloignés de la région pressignienne, notamment en Dordogne et dans le Vercors (DELAGE 1993, PELEGRIN 1993 ; RICHE 1998), témoignent du déplacement d'au moins certains de ces maîtres-tailleurs, ce qui corrobore l'hypothèse émise à partir de l'étude du dépôt de lames de « livres de beurre » de « La Creusette» à Barrou. Cet ensemble de 134 à 138 lames provient d'un surplus intransportable dissimulé soigneusement pour être récupéré plus tard (PELEGRIN 1997). Le tailleur de ces lames n'habitait donc probablement pas à proximité de ce dépôt.

De surcroît, les niveaux de savoir-faire mis en œuvre lors du débitage de lames sur deux sites d'habitat à Abilly au « Petit-Paulmy » et au « Foulon » témoignent de la présence de tailleurs nettement moins expérimentés que les artisans-tailleurs de « livres de beurre », qui ont fourni quelques grandes lames aux habitants (voir document 3) mais ne résidaient manifestement pas sur place en permanence (MILLET-RICHARD 1997). Ces divers éléments plaident donc pour le caractère itinérant d'au moins certains maîtres-tailleurs qui auraient ainsi probablement colporté leur production (MARQUET et MILLET-RICHARD 2013).

Voir aussi :
- Les mégalithes et les sépultures néolithiques
- L'habitat au Néolithique (5500-2100 av. n.-è.)
- Abilly, "Le Petit-Paulmy"

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