Les ateliers monétaires mérovingiens (6e-7e s.)


Elisabeth Zadora-Rio

A partir des années 570-580, le système monétaire mérovingien est fondé sur une monnaie unique, le tiers de sou d'or, lui-même remplacé à partir des années 670, par le denier d'argent.

Les tiers de sou d'or et les deniers d'argent mérovingiens comportent souvent, outre le nom du monétaire, le toponyme du lieu d'émission suivi parfois du statut de ce dernier. Les ateliers pouvaient être situés dans des localités de divers types. Les termes qui les désignent sur les monnaies sont principalement vicus (parfois abrégé en v, vi ou vic.), civitas ou castrum (abrégé en cas.), mais d'autres termes apparaissent de façon plus sporadique.

L'identification des lieux d'émission est souvent problématique. Les caractéristiques stylistiques, qui sont susceptibles parfois d'orienter l'attribution des monnaies à telle ou telle grande région d'émission, ne permettent pas de reconnaître les ateliers locaux. L'identification repose donc, au mieux, sur un rapprochement des noms de lieux inscrits sur les monnaies avec des localités dont l'ancienneté est attestée par les sources écrites ou l'archéologie, et au pire, sur un simple rapprochement toponymique. Ces attributions sont toujours relativement fragiles puisque les monnaies sont faites pour circuler et peuvent être découvertes à une grande distance de leur lieu d'émission.

A Tours même, des tiers de sou d'or et des deniers d'argent ont été frappés au nom de la civitas, de Saint-Martin de Tours, et de la cathédrale Saint-Maurice (DEPEYROT 1998:54-57; DEPEYROT 2001:84-88). En dehors de la cité, dix-sept lieux d'émission peuvent être identifiés avec assurance à des localités mentionnées par Grégoire de Tours : le castrum de Chinon, et les vici d'Amboise, Balesmes (commune Descartes), Bléré, Brayes (aujourd'hui Reignac), Brèches, Candes, Ciran, Dolus, Esvres, Langeais, Loches, Mougon (commune Crouzilles), Pont-de-Ruan, Saunay, Thuré, Yzeures. L'identification des monnaies portant l'inscription Paternaco, ou Paternaco vico à Pernay, localité que Grégoire mentionne non comme vicus, mais comme parochia, paraît également assurée (ZADORA-RIO 2008 : 80-84).

La localisation à Neuvy-le-Roi de l'atelier frappant des tiers de sou d'or à la légende Novo vico est plus incertaine. Ces monnaies présentent, selon J. Lafaurie, des caractères stylistiques neustriens, mais même si on se limite au territoire de l'ancienne Neustrie, le toponyme de Neuvy est fréquent, et Neuvy-le-Roi, en Indre-et-Loire, qui est sans aucun doute possible le site du vicus mentionné par Grégoire de Tours, n'est qu'une des nombreuses localités de ce nom. Le fait que le nom du même monétaire, Domolus, se retrouve à la fois sur des monnaies de Ciran, en Touraine, et de Novo vico constitue cependant un argument en faveur d'une identification de cet atelier avec Neuvy-le-Roi (LELONG 1999 : 92).

D'autres lieux d'émission, qui ne sont pas mentionnés par Grégoire de Tours, peuvent néanmoins être localisés en Touraine avec une certaine assurance. On ne peut guère douter de l'attribution des monnaies portant la légende de Taciaco vico ou Thaisacas à Thésée (Loir-et-Cher), agglomération gallo-romaine bien attestée aux confins du diocèse, qui est figurée sur la Carte de Peutinger à la fin du 4e s., et où l'existence d'un groupe ecclésial de l'Antiquité tardive apparaît très probable (ZADORA-RI0 2008 :74-76).

Dans un certain nombre de cas, l'identification des lieux d'émission à des localités tourangelles s'appuie sur l'ancienneté de celles-ci lorsqu'elle est attestée par les sources écrites, les données archéologiques, ou par un vocable marqueur de l'Antiquité tardive. Ces critères ont permis de retenir les lieux d'émission suivants :

- Chambourg-sur-Indre : la légende Cambortese pago qui figure sur une monnaie d'or doit être rapprochée du toponyme de la condita Cambortensis mentionnée en 791 (Cartulaire de Cormery n°1).

- Genillé (Geniliaco vico) est le chef-lieu de la vicaria Geniliacense mentionnée en 894, et son église est dédicacée à sainte Eulalie de Mérida, qui est une martyre du 4e s., à laquelle Grégoire a consacré un chapitre du Liber in Gloria Martyrum. C'est le seul exemple de ce vocable dans le diocèse de Tours, mais il paraît plausible d'y voir la dédicace originelle de l'église du vicus de Genillé.

- Limeray (Limeriaco) : l'église porte le vocable de saint Saturnin, qui est un marqueur chronologique fiable du haut Moyen Age dans le diocèse (ZADORA-RIO 2008 : 57-61). La localité est mentionnée comme villa entre 978 et 983 dans un document original de l'abbaye Saint-Julien de Tours.

- Dierre (Daria vico) : l'église est dédiée à saint Médard; dont les reliques étaient présentes au temps de Grégoire dans le vicus d'Esvres. Ce vocable peut être considéré comme un marqueur chronologique fiable du haut Moyen Age.

- Angé (Aniaco vico), ancienne paroisse du diocèse de Tours aujourd'hui située en Loir-et-Cher, dont l'église est dédiée à saint Pierre-ès-Liens. Le vocable de l'église constitue un gage d'ancienneté..

- Pouillé (Pauliaco vico), ancienne paroisse du diocèse de Tours aujourd'hui en Loir-et-Cher, dont l'église est dédiée à saint Saturnin

- Braye-sous-Faye (Braia vico), situé dans le diocèse de Poitiers et sur le territoire actuel de l'Indre-et-Loire, où la mention au 11e s. de deux églises dédiées à saint Pierre et saint Jean suggère l'existence d'un groupe ecclésial du haut Moyen Age (ZADORA-RIO 2008: 62).

- Quant au lieu d'émission des monnaies à la légende Borgolaio vi, il peut être localisé avec la même probabilité à Bourgueil ou à Saint-Epain (dont le toponyme était Burgogalus jusqu'au 10e-11e s.).

Il faut corriger l'identification, généralement admise, du lieu d'émission des monnaies à la légende Vidua vico avec Veuve, près d'Amboise (PROU 1892 : n°405-409, DEPEYROT 1998 : 64-65; LAFAURIE, PILET-LEMIERE 2003 : 443). Le toponyme Vidua vico doit être rapproché de celui du chef-lieu de la vicaria Vedacense, qui est localisé dans le pagus du Mans par une charte originale de Saint-Julien de Tours en 971. Il s'agit de Vaas (Sarthe) aux confins du diocèse de Tours. Il convient, enfin, de remettre en question l'identification avec Savonnières du lieu d'émission des monnaies portant la légende Sap(ona)riae qui a été proposée par J.Lafaurie (LAFAURIE 1963). Cette attribution se fonde sur le testament de l'évêque de Tours Perpet (458-489), qui est en réalité un faux du 17e s. Ce lieu d'émission doit être identifié, selon toute probabilité, non à Savonnières, en Indre-et-Loire, mais à Savennières, en Maine-et-Loire, localité qui est mentionnée comme vicus dans la Vie de saint Maurille écrite au 7e s. par saint Maimbeuf (ZADORA-RIO 2008 : 83).

On peut donc évaluer à vingt-huit le nombre des lieux d'émission qu'on peut localiser en Touraine avec une relative assurance, en dehors de la ville de Tours (carte 1).

Le fonctionnement du système monétaire mérovingien, caractérisé par une multiplicité de lieux d'émission, et une circulation à longue distance des monnaies (METCALF 2006), est très mal connu. Le statut des monétaires, le rôle des lieux d'émission dans la chaîne opératoire, la fonction même de la monnaie, font l'objet de débats qui sont loin d'être clos (GRIERSON, BLACKBURN 1986 : 98-102; DEPEYROT 1998, I; METCALF 2006).

Voir aussi :
- Thésée-Pouillé (Loir-et-Cher), l'agglomération antique
- Les castra de l'Antiquité tardive et du haut Moyen Age (400-900)

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