Les lieux d'inhumation du haut Moyen Age (400-1000)


Philippe Blanchard

L'inventaire des lieux d'inhumation du haut Moyen Âge actuellement connus en Indre-et-Loire comprend 158 sites (carte 1) (CORDIER 1974b ; BLANCHARD, GEORGES 2003 ; BOUCHER, CORDIER, HUBERT-PELLETIER 2003). Dans la plupart des cas, il s'agit de découvertes anciennes, remontant au 19e ou à la première moitié du 20e siècle, et les informations sont très lacunaires. Ce sont le plus souvent de simples mentions qui signalent la présence de sarcophages, et, plus rarement, de mobilier, mais la localisation précise, le nombre et la datation des tombes sont le plus souvent inconnus. Sur l'ensemble des sites répertoriés, seuls 25 peuvent être considérés comme fiables en raison d'une bonne localisation et d'une qualité de l'archivage des données de fouilles qui en permet l'exploitation. Ils ont tous fait l'objet d'interventions archéologiques dans les décennies 1990 et 2000, à l'exception de celui de Sublaines, fouillé à la fin des années 1960 (CORDIER 1974).

1.Taille et durée de fonctionnement des lieux d'inhumations

L'état des connaissances semble révéler l'absence de grandes nécropoles comptant plus d'un millier d'inhumations et suggère plutôt la présence de sites funéraires ne dépassant pas 200 à 300 sépultures, comme c'est sans doute le cas de ceux du bois du Marais à Noyant-de-Touraine, du site du château au Grand Pressigny, du Poteau à Richelieu, de Villaines à Sublaines (carte 2). La plus grande nécropole de plein champ connue à ce jour semble être celle de La Carqueterie à Parçay-Meslay avec une estimation comprise entre 500 et 600 individus (RIOU, QUILLIEC 2007).

Ce constat est toutefois faussé par des surfaces d'observations souvent trop restreintes pour permettre des estimations correctes. Ainsi, à Saint-Mexme de Chinon (LORANS 2006), aux abords de l'église d'Esvres (BLANCHARD, CHIMIER 2006) ou à La Celle-Saint-Avant (PAPIN 2008), les inhumations du haut Moyen Âge sont peu nombreuses (un minimum de 109 à Chinon) mais devaient l'être probablement beaucoup plus dans la réalité, atteignant peut être le millier de tombes. A Rigny, sur plus de 1700 sépultures fouillées, datées du 8e au 19e s., seules 200 sont attribuables au haut Moyen Âge, mais les phases d'inhumation les plus anciennes n'ont été fouillées que très partiellement (THEUREAU 2006-2007 ; ZADORA-RIO, GALINIÉ 2001). C'est le cas aussi à Crouzilles où des tranchées récentes dans les rues environnant l'église ont permis de fouiller plus de 150 sépultures et de délimiter un espace qui, s'il était entièrement funéraire, couvrirait une superficie d'au moins 3000 m² avec au minimum un millier d'inhumations (BLANCHARD, DELEMONT 2009).

De petits ensembles pouvant approcher la dizaine de sépultures ont été identifiés à Sorigny « Nétilly » (JESSET et al. 2002), à Athée-sur-Cher « Le Chêne Blanc » (KRAUSZ et al. 2004) à Truyes « Les Grandes Maisons » (TOURNEUR 2005) ou à La Riche, à la « ZAC des Minimes » (GUILLOT, CREUSILLET 1999) (carte 3).

Enfin, parmi les 25 lieux d'inhumation dont la documentation est jugée fiable, seule une minorité de sites correspondent à des sépultures isolées (1 à 5 individus). C'est le cas à Joué-lès-Tours sur les sites de la Liodière (JESSET et al. 2003) et de la Flottière (JOLY à paraître), à Neuvy-le-Roi « La Marmaudière » (TOURNEUR et al. 2004), à Chinon au fort Saint-Georges (BRYANT et al. 2003), à Langeais « Les Béziaux » et à Truyes aux « Vignes de Saint-Blaise » (CHIMIER et al. 2006).

A Tours, des sépultures isolées et de petits ensembles funéraires, contemporains de l'utilisation des grandes nécropoles suburbaines héritées de l'Antiquité, ont été découverts au cours de fouilles récentes. Il est notable que ces lieux d'inhumation sont tous situés à l'extérieur du rempart du Bas-Empire, conformément à la tradition antique : l'établissement de cimetières pérennes à l'intérieur des limites de la Cité ne semble pas antérieur à la fin du 10e s. (GALINIÉ, LORANS 2007 : 88-89 ; LORANS, JOLY, TREBUCHET 2007 : 373-375).

La durée d'utilisation des lieux d'inhumations est généralement très difficile à préciser en raison de fourchettes de datations très larges obtenues à partir de la typologie des modes d'inhumations, du mobilier funéraire ou des analyses par le radiocarbone. En outre, ces datations ont le plus souvent été obtenues à partir d'un faible nombre d'individus et extrapolées à l'ensemble du site. La durée d'utilisation varie de moins d'un siècle à Sorigny jusqu'à une occupation funéraire pluriséculaire, de la fin du bas-Empire au 18e s. à Saint-Mexme de Chinon. Les plus longues durées d'utilisation sont souvent liées à la présence d'une église contemporaine de la phase funéraire ou légèrement postérieure, qui deviendra dans certains cas paroissiale (à Rigny, Saint-Mexme de Chinon, La-Celle-Saint-Avant, Esvres et Crouzilles) (carte 4).

La quasi-absence des grandes nécropoles de plein champ, si elle n'est pas due uniquement au hasard des découvertes, pourrait refléter la stabilité des lieux d'inhumation depuis le début du haut Moyen-Age. Elles seraient donc peut-être situées sous les centres paroissiaux actuels, et donc très difficilement identifiables en raison du bâti encore en élévation.

2.Topographie des lieux d'inhumations

La concentration ou le regroupement de sépultures est parfois à mettre en relation avec des points marquants du paysage. Ces éléments structurant les espaces funéraires sont de trois ordres au sein de notre corpus : les tumulus, les voies et les limites matérialisée par des murs ou des fossés.

La nécropole de Villaine à Sublaines est organisée autour d'un tumulus. C'est le seul cas attesté en Touraine, mais l'attractivité de ce type de monument pour les inhumations du haut Moyen Âge est un phénomène bien connu sur d'autres sites en France (ainsi au « Dolmen de Changé » en Eure-et-Loir (JAGU, RENAUD 1991 : 84)).

Les espaces de circulation jouent un rôle dans la topographie des lieux d'inhumations dans deux cas au moins, à Richelieu et Neuvy-le-Roi. Dans le premier cas, il s'agit d'un chemin interne au cimetière plutôt que d'une voie comme sur le site de la Marmaudière à Neuvy-le-Roi. Sur ces deux sites, des fossés contribuent également à l'organisation de l'espace funéraire. Le choix de la proximité d'un chemin, à Neuvy, pourrait correspondre à une persistance des traditions antiques.

Les sites où les limites matérialisées par des murs, palissades ou fossés participent à l'organisation des lieux d'inhumation sont les plus nombreux : ainsi à Crouzilles, à Sorigny « Nétilly », à Joué-les-Tours « La Liodière », à Athée-sur-Cher « Le Chêne Blanc », à Truyes « Les Grandes Maisons », à Langeais « Les Béziaux » ou à Parçay-Meslay. Ajoutons que, malgré l'absence de limites reconnues à Sublaines, la disposition linéaire de certaines inhumations, notamment sur les côtés sud et est de cette nécropole, suggère fortement l'existence de haies ou de fossés aujourd'hui disparus.

L'organisation interne de ces espaces funéraires reste difficile à cerner en l'absence d'interventions sur des superficies importantes. La disposition en rangées n'a pas été observée sauf ponctuellement à Sublaines et à Richelieu. Sur ce dernier site, une organisation bipolaire est probable avec, d'une part, le chemin évoqué précédemment, et d'autre part, un noyau funéraire constitué de quatre sarcophages qui sont peut être à l'origine de la nécropole en raison de leur position centrale.

Aucun secteur réservé à des enfants en bas âge n'a été identifié sur les sites de notre corpus. Il n'y a pas non plus de stèles ou d'éléments de signalisation attestés. Enfin, on ne note pas d'aménagement spécifique (de type enclos) autour des fosses sépulcrales.

3. Pratiques funéraires

Les modes d'inhumation attestés comprennent des sépultures dites en « pleine terre », des sarcophages, mais aussi des architectures de bois de type coffrage, difficiles à reconstituer précisément. Notons qu'aucun cercueil n'a été identifié avec certitude pour cette période. Dans les nécropoles, les modes d'inhumation sont divers ; les sarcophages sont généralement minoritaires sauf peut être dans quelques cas. A Noyant-de-Touraine (6-7e s.), une concentration de 61 sarcophages au moins sur un total de 80 sépultures a été identifiée, mais dans des terrains non fouillés (carte 5). A Saint-Mexme de Chinon, le constat pourrait être similaire car 71 sarcophages ont été identifiés dans une phase datée des 8e-9e s. sur un total de 109 sépultures, et une quinzaine de sarcophages ont été observés en réemploi sur ce site pour des périodes plus tardives (11e-18e s.). Enfin, les interventions dans la cour du château du Grand-Pressigny ont mis au jour 22 sépultures, qui étaient toutes en sarcophage. Ce site est le seul à présenter exclusivement ce mode d'inhumation qui reflète sans doute un statut privilégié.

L'utilisation du sarcophage, si elle reste rare dans notre corpus de sites fiables, est tout de même attestée dans 56% de l'ensemble des sites (89/159). Elle y est cependant surreprésentée en raison de la plus grande visibilité de ces tombes et de l'attrait qu'elles ont exercé au détriment de sépultures plus modestes, qu'on ne savait guère dater jusqu'aux progrès récents des datations par le radiocarbone.

Les sites ayant livré du mobilier funéraire sont extrêmement rares. A Sublaines, 1 fibule ansée, 4 anneaux et bagues et 5 perles ont été mis au jour pour les 6e-7e s. A Richelieu, ce sont 2 fibules ansées, 2 anneaux, une chaînette avec anneaux et 15 perles qui ont été découverts dans deux fosses du 7e s. Au Grand Pressigny, deux bracelets en fer, une fibule, une bague et quelques perles ont été retrouvés. Enfin, à Noyant, seule une bague a été mise au jour dans un sarcophage et pourrait dater du 6e ou du début du 7e s. Le site de la Carqueterie à Parçay-Meslay contient très certainement des tombes avec mobilier. Le diagnostic réalisé a permis de mettre au jour une bague, une boucle de lanière de chaussure avec ardillon et un passe-courroie des 6e-7e s., mais il n'est pas assuré que ce mobilier ait été retrouvé en position primaire. Bien qu'elle ne fasse pas partie de notre corpus de référence, signalons la tombe en sarcophage trapézoïdal découverte dans le chœur de l'église de Perrusson, qui est l'une des plus riches de la région. Elle a livré des vêtements décorés de fils d'or, des plaques-boucles et un passe-courroie en alliage d'argent et de cuivre ainsi qu'un récipient de verre datés du 6e s. (LELONG 1976).

Comme dans la plupart des régions, le mobilier funéraire disparaît après le 7e s. Seul le site de Rigny-Ussé a livré une sépulture du 9e s. contenant une fusaïole et une bourse avec 4 monnaies de Louis le Pieux.

On est donc très loin des riches tombes mérovingiennes du nord ou de l'est de la France. Sur les 25 sites fouillés récemment, aucune tombe à arme n'a été recensée, et il n'y en a guère non plus parmi les découvertes anciennes : on note seulement trois tombes ayant livré au total 1 scramasaxe et 3 francisques sur les sites de Brèches (BLANCHARD, GEORGES 2003 : 64), de Saint-Jean-Saint-Germain et de Sainte-Maure-de-Touraine, mais l'ancienneté de ces découvertes limite leur fiabilité.

4. Statut social des inhumés

La rareté remarquable du mobilier dans les sépultures du haut Moyen Age en Touraine rend difficile l'identification du statut social des individus inhumés, à de rares exceptions près, telles que la sépulture privilégiée de Perrusson, fouillée anciennement.

L'usage du sarcophage constitue sans doute un bon « marqueur social », mais la fréquence des réemplois ne permet guère de juger du statut du dernier inhumé. La distance aux zones de productions de sarcophages a pu avoir un impact sur la diffusion de ce mode d'inhumation, mais il est difficile à évaluer. Les interventions récentes réalisées dans le centre du bourg de Crouzilles, distant de 7 km à peine des carrières à sarcophages de Panzoult, ont montré que 6% seulement des inhumations étaient associées à ce type de contenant (BLANCHARD, DELEMONT 2009 : 72).

Voir aussi :
- Les lieux de sépulture de l'Antiquité
- Les carrières de sarcophages du haut Moyen Age
- Les cimetières paroissiaux médiévaux et modernes

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