Amboise, le château et la ville aux 15e-16e siècles


Lucie Gaugain

Si en 1434, sur confiscation royale, la ville d'Amboise passa à la couronne, ce changement de statut n'eut cependant pas de conséquence immédiate sur la vie urbaine. Une évolution bien plus significative s'était amorcée dès 1421, lorsque le seigneur Pierre II d'Amboise avait délégué le pouvoir aux gens de la ville, auxquels Charles VII (1421-1463) avait accordé le droit de se regrouper en conseil pour gérer les revenus de l' « apetissement » du vin destinés à financer l'entretien des ponts et de l'enceinte. Il fallut attendre 1463 pour que la famille royale s'installe à Amboise et que s'ouvre une nouvelle ère qui dura jusqu'à l'abandon d'Amboise par la cour, vers 1525 - date de l'implantation de celle-ci en région parisienne (Gaugain 2010 ; Gaugain 2014b).

Topographie et héritage féodal

Située en bord de Loire, Amboise se trouve à 23 km de Tours et 35 km de Blois (Loir-et-Cher). L'agglomération actuelle, qui couvre 40,65 km², s'étend au-delà de la Loire sur sa rive droite. Le plateau d'Amboise a été détaché du coteau de Loire par le lit du Cher, qui coule à une dizaine de kilomètres au sud et se caractérise par une couverture forestière ancienne et abondante. L'altitude y varie entre 52 m en bord de Loire et 127 m pour le point culminant. La richesse géologique du sous-sol des coteaux de la Loire et du Cher a été un facteur très favorable à la construction en pierre. Ces voies d'eau ont permis un acheminement aisé des matériaux à pied d'œuvre. Au sud, la Masse, ou l'Amasse, qui prend sa source dans le bois de Sudais descend des plateaux surplombant la ville ; jusqu'à Château-Gaillard, elle trace une voie assez directe, puis les pentes de sols faiblissant, elle dessine de nombreux méandres avant de se jeter dans la Loire. La Masse, qui se divise en différents bras créant une zone marécageuse, a creusé le plateau, isolant ainsi un éperon de tuffeau dont le relief naturel favorisa l'implantation d'une forteresse dès la Protohistoire.

Au début du 15e siècle, la ville appartenait aux seigneurs d'Amboise qui avaient rassemblé les trois fiefs qui existaient à l'époque de Hugues Ier (1081-1130). Elle avait hérité de cette période féodale sa trame viaire, son enceinte (Carte 2) et ses ponts, dont la partie méridionale était de pierre, mais aussi sa forteresse sur éperon qui abritait la collégiale Saint-Florentin, l'église Saint-Denis implantée sur la colline qui faisait face au château, et la chapelle Saint-Jean située sur l'île soutenant le pont. Amboise vivait essentiellement du passage de la route d'Espagne, qui en traversant la Loire ici et non à Tours, faisait d'elle une « ville-pont ». Les dernières décennies du 15e et les premières du 16e siècle virent l'émergence d'une « ville-château », dont le développement doit tout à la couronne.

Le château (Carte 3)

Alors que Louis XI (1461-1483) accentua le caractère fortifié de la demeure des Amboise dont il modernisa les aménagements résidentiels, le projet de Charles VIII (1483-1498) tendit à faire du château un palais, lieu de villégiature privilégié de la cour (Carte 4). Louis XI cantonna ses travaux résidentiels dans le secteur du donjon situé à la pointe occidentale du promontoire en faisant construire le long des courtines, au sud, un logis royal doté d'une chapelle du Saint-Sépulcre, soubassement de l'actuelle chapelle Saint-Hubert (Document 1), et au nord, une galerie couverte d'une terrasse d'agrément. Il fit sans doute aménager d'anciens bâtiments, à l'ouest, pour y installer les « cuisines de bouche » (cuisines privées du roi et de la reine) et celles du commun ainsi que d'autres dépendances. Ses travaux militaires portèrent en premier lieu, dès 1463, sur l'érection de la tour Garçonnet à l'angle nord-ouest de l'enceinte, puis sur le renforcement de la rampe méridionale et la construction de la porte des Lions barrant le fossé oriental de l'enceinte et l'entrée de la basse-cour.

Charles VIII mit quant à lui en œuvre un chantier d'une nouvelle ampleur, dont l'intensité transparaît notamment à travers l'étude d'un compte de construction de l'année 1495-1496. Conservant les logis de son père à titre privatif, il commanda la chapelle Saint-Hubert et au-delà du donjon, dans le baile, des logis abritant les fonctions officielles : le logis des Sept Vertus et ses logis jumeaux devait accueillir les hôtes de marque ou le couple royal lors de cérémonies officielles, tandis que le logis faisant face à la Loire abritait la grande salle. Alliant fonctions de défense et d'apparat, les tours cavalières des Minimes et Heurtault devaient pour leur part desservir de manière théâtrale et majestueuse l'esplanade castrale (Document 2). Enfin, son projet évolua dans un second temps vers l'implantation de jardins ayant vue sur la Loire au nord-est et l'édification d'un nouveau logis en retour d'équerre, doté d'une chapelle sur porche et d'un escalier d'honneur ouvert (tout deux disparus) mais il n'eut guère le temps d'achever lui-même ce logis. Louis XII (1498-1515) mais surtout François Ier et Catherine de Médicis complétèrent le dessein (Carte 3 et carte 4). Au milieu du XVIe siècle, Amboise devenait ainsi le plus grand château de la fin du Moyen Âge et du début de la Renaissance (274 pièces) dont près des deux tiers ont aujourd'hui disparu. De Charlotte de Savoie à Catherine de Médicis, en passant par Anne de Bretagne et Louise de Savoie, ce sont avant tout des femmes et les héritiers de la couronne qui ont habité cette grande demeure conçue par les rois Louis XI, Charles VIII et François Ier.

La ville (Carte 2)

D'une ampleur encore jamais égalée auparavant, le chantier de construction royal eut des répercussions immédiates sur l'économie et l'urbanisme de cette petite « ville-pont » de 300 à 400 feux en passe de devenir une « ville-château ». La tradition constructive ancienne, liée aux ponts, fut renouvelée par la venue d'une main-d'œuvre hautement qualifiée attirée par le chantier royal. Dans les trois dernières décennies du 15e siècle, quatre édifices édilitaires furent édifiés ; et ils demeurèrent les seuls de la ville jusqu'au 18e siècle : les halles, la maison de ville, la tour de l'Horloge et les portails sur les ponts et le port (Document 3).

L'étude de l'architecture privée urbaine permet pour sa part de préciser le cadre de vie des différents milieux sociaux renouvelés par l'installation des officiers de la cour et de la main-d'œuvre industrielle. Le patrimoine architectural médiéval d'Amboise reste le seul témoin matériel de cette société disparue. Maisons en pan-de-bois (Document 4 et document 5), hôtels urbains et manoirs témoignent de la présence de commanditaires susceptibles de faire construire dans la ville royale, sans qu'aucune source ne permette toutefois de les identifier formellement (Document 6). Quelques demeures font cependant exception : le Clos-Lucé (v. 1470 ; Document 7) d'abord construit pour Estienne Leloup, maître d'hôtel de Louis XI, l'hôtel de Pierre Morin, trésorier de France (v. 1506 ; Document 8) et l'hôtel dit Joyeuse de Pierre Pineau, sommelier de la reine (v. 1515 ; Document 9). 

En 1498, le dynamisme de la « ville-château » était lancé et Amboise avait tous les atouts pour devenir une cité d'importance, mais la mort accidentelle de Charles VIII arrêta cet essor. Toutefois, la vitalité du chantier d'Amboise sur une quarantaine d'années constitua le laboratoire de nouvelles solutions architecturales qui influencèrent les entreprises princières du début de la Renaissance : Gaillon, Blois, Rouen, Chambord...

Voir aussi :
- Amboise : la ville gauloise et gallo-romaine
- Le réseau urbain médiéval et moderne
- Les castra de l'Antiquité tardive et du haut Moyen Age (400-900)
- Châteaux et enceintes urbaines à la fin du Moyen Age
- Les châteaux de la Renaissance
- Les châteaux du Moyen Age central (900-1200)

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