L'évolution de la plaine alluviale de Tours au Quaternaire récent


Eymeric Morin, Xavier Rodier

L'évolution de la plaine alluviale de Tours au Quaternaire récent peut être restituée en croisant des modèles géostatistiques de la géomorphologie du secteur et des études de la stratigraphie des sédiments fluviaux. Les différents résultats obtenus ont permis de restituer les grands traits de l'évolution de la plaine alluviale tourangelle depuis la dernière période glaciaire (Weichsélien), de mettre en évidence les facteurs forçant cette évolution et de souligner certaines caractéristiques des interactions sociétés/milieu, en précisant notamment le cadre physique et sa mise à profit par les premières occupations humaines (Morin et al. 2013).

Dans la plaine alluviale tourangelle, la dernière incision du substrat rocheux calcaire dans le fond de vallée s'est effectuée avant le dernier maximum glaciaire. Cette incision majeure a été suivie par la mise en place de dépôts grossiers dans des systèmes à chenaux multiples. Ces dépôts ont constitué les principales formes du relief de l'interfluve entre Loire et Cher avant son urbanisation. Une phase d'incision puis d'alluvionnement grossier confinée dans les chenaux actifs, est probable au Tardiglaciaire. A la transition Tardiglaciaire-Holocène, les chenaux actifs ont de nouveau été incisés. L'incision a entraîné un retrait de la Loire et du Cher approximativement au niveau de leur lit mineur actuel, au nord et au sud de la plaine alluviale, et l'abandon progressif des chenaux secondaires, comme celui situé dans l'espace urbanisé ancien (Document 1) et le ruisseau de l'Archevêque. Dans ces chenaux partiellement abandonnés, une sédimentation à forte composante organique s'est développée dès le début de l'Holocène, tandis que le lit mineur des cours principaux restait actif. Entre le milieu du Boréal et la fin de l'Atlantique; une reconnexion des chenaux secondaires, accompagnée d'une phase d'incision modérée, a en partie érodé les dépôts holocènes antérieurs (Morin et al., à paraître). Après cette incision et jusque vers le début du Subatlantique, une sédimentation fine et organique s'est à nouveau développée dans ces chenaux, indiquant une relative stabilité morphologique de la plaine alluviale et un niveau moyen du fleuve relativement bas à cette période. Du Subatlantique jusqu'à l'Âge du Fer, un regain de la dynamique fluviale est enregistré, avec l'incision et le comblement à dominante sableuse de petits chenaux. Dès l'Âge du Fer et avant les occupations humaines du 1er s. après J.-C., le recouvrement des dépôts holocènes antérieurs par des alluvions essentiellement sableuses s'est effectué localement dans certains secteurs de l'espace urbanisé ancien. Les modifications morphologiques entraînées durant cette dernière période n'ont probablement affecté que les secteurs proches des chenaux actifs, le reste de l'interfluve entre Loire et Cher présentant une relative stabilité morphologique. La contribution du Cher dans l'évolution morphologique du fond de vallée apparaît mineure durant le Weichsélien et l'Holocène.

Les occupations humaines du 1er s. après J.-C. ne se sont pas concentrées sur les modestes reliefs alluviaux. Les premières occupations se trouvent à la fois sur des hauts fonds, comme l'amphithéâtre antique (Document 2, A) pour lequel l'existence d'un haut fond alluvial ("montille") a été mise à profit, et des zones plus basses, comme l'établissement gaulois (Document 2, B) ou les thermes antiques (Document 2, C).

Les premières constructions en matériaux périssables correspondant à la ville ouverte antique ont été remplacées dans la seconde moitié du 1er s. après J.-C. par des constructions en pierre ou sur solin maçonné (Jouquand 2007). Cette phase de reconstruction a été systématiquement précédée d'un remblai d'exhaussement pouvant atteindre plus d'1 m d'épaisseur (Jouquand 2007 ; Lorans et al. 2013) et indubitablement lié à la nécessité de se protéger de l'aléa hydrologique ou plus vraisemblablement d'une remontée progressive du toit de la nappe phréatique des alluvions, peu profonde à cette époque (Driard 2007). Cette remontée ne serait pas en relation avec un forçage climatique, car la période gallo-romaine ne fut pas spécifiquement humide (Büntgen et al. 2011). Elle a pu être induite par une forte accrétion sédimentaire dans les chenaux actifs, entrainant un exhaussement des lits fluviaux et subséquemment une élévation générale de la surface piézométrique (Lorans et al. 2013).

Les gains de la ville sur la Loire, vers le nord, entre les 1er-3e s. et le 20e s (Galinié et al. 2003) ont pu être réalisés à la faveur d'îles en bordure du chenal (Document 2, D), comme entre les 1er et 3e siècle, avant la construction de l'enceinte du 4e s., dans le quartier du Château de Tours (Morin et al. 2013). Cependant, au cours du premier millénaire après J.-C., certaines périodes furent probablement plus propices que d'autres pour effectuer ces gains. En particulier, le chenal de la Loire s'est déplacé latéralement à l'ouest de l'espace urbanisé ancien : il a progressé vers le sud, probablement aux environs du 4e s., puis vers le nord avant les 9e-11e s. (Gardère 2011). L'édification d'ouvrages de protection des berges dès le Haut Moyen Âge a contribué à la stabilité morphologique de la plaine alluviale : l'évolution morphologique a été depuis limitée au lit mineur contraint (barres sédimentaires, îles), tandis que la fréquence et la magnitude des grandes inondations se sont accrues (Garcin et al. 2006).

Voir aussi :
- Relief et réseau hydrographique
- Tours, de Caesarodunum à la ville sub-contemporaine
- Le paléoenvironnement au cours de l'Holocène d'après les données palynologiques
- Tours et la Loire

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