Thésée-Pouillé (Loir-et-Cher), l'agglomération antique


Jacqueline Cadalen-Lesieur

Le site de Thésée-Pouillé se situe en bordure du Cher, à l'extrémité sud-ouest du plateau solognot (carte 1).

La présence humaine sur les coteaux et dans la basse vallée de la rivière est attestée dès la Préhistoire, mais les traces de l'occupation humaine pour les périodes pré-romaines sont diffuses et essentiellement représentées par des artefacts : pierres taillées, céramiques non tournées, monnaies gauloises, fragments d'amphores italiques datées de la fin du 2e ou du 1er s. av.J.-C.. A ce jour, aucun site d'habitat n'a été identifié.

Reconnu comme l'ancienne Tasciaca, station mentionnée sur la carte de Peutinger le long de la voie reliant Caesarodunum (Tours) et Avaricum (Bourges), aux confins des cités des Turones, des Carnutes et des Bituriges Cubi, le site connaît un développement significatif dès le début de la période romaine. Les vestiges répartis de part et d'autre du Cher témoignent d'une agglomération florissante.

Sur la commune de Thésée, au lieu dit « Les Mazelles », un ensemble de bâtiments, inscrit dans une enceinte quadrangulaire, a gardé un état exceptionnel de conservation, avec des élévations atteignant 5,50 m (Document 1).

Le bâtiment le plus vaste, au nord, est constitué d'une grande salle (40 x 14,70 m), sans subdivision, flanquée de deux pavillons latéraux reliés par une galerie de façade, et prolongée à l'est par une autre pièce de même largeur.

Les bâtiments situés au sud sont plus arasés :

- à l'ouest, une petite construction (11,50 x 9,60 m) n'a conservé que trois assises de moellons au-dessus des fondations.

- à l'est, deux bâtiments sont juxtaposés :

Aucun élément concret n'a permis à ce jour d'attribuer une fonction précise à cet ensemble ; cependant l'hypothèse de la mansio est la plus généralement retenue.

Les vestiges d'activités artisanales ont été repérés à Thésée dans l'environnement de l'église actuelle : une activité potière avec la présence d'un four et d'une importante tessonnière, le travail du verre et peut-être de la tabletterie.

Mais c'est sur la rive gauche du Cher, sur la commune de Pouillé, que s'est développée une aire d'activité dont la surface actuellement connue couvre environ 5 hectares et présente un ensemble cohérent de bâtiments orientés est-ouest, longeant une voie qui se dirige vers le Cher (carte 2).

La fabrication de céramiques est la fonction dominante, avec une trentaine de fours dénombrés et une production importante, constituée de céramiques communes destinées à la cuisine ( assiettes ou plats, coupes, tripodes, pots...) et d'amphores à vin, distribuée à grande distance.

Le travail de forge est également attesté par la présence des déchets métalliques découverts en grande concentration à l'ouest de la zone.

Un petit sanctuaire est situé dans la zone artisanale (FOUILLES ET... 1982).

Le fanum est constitué d'une enceinte de plan irrégulier à l'intérieur de laquelle est édifiée une cella de plan carré (6,45 m de côté).

Le mobilier découvert dans le sanctuaire témoigne de la pratique d'un culte dédié à une divinité de l'eau, probablement guérisseuse, peut-être le Cher lui-même : plaquettes en os en forme de poissons, hameçons, ex-voto en tôle de cuivre ou de bronze représentant des yeux, instruments de médecine : spéculum, broyeur, accompagnés de onze fragments d'une inscription incomplète, dédicace personnelle à un empereur faite par une personne dont la vie mise en danger par le Cher s'acquitte d'un vœu fait à la divinité.

Deux autres structures, peut-être en liaison avec le sanctuaire (FOUILLES ET... 1982 ; BOURGEOIS 1992), sont localisées à 25 mètres de l'enceinte du fanum :

- au nord-est, un puits profond de 4,24 m présente une paroi presque circulaire, d'un diamètre d'environ 0,80 m, parementée de gros galets posés à sec sur un fond légèrement concave ;

- au sud-ouest, un bassin développe un plan rectangulaire (6,06 x 4,77 m) et possède deux niches semi-circulaires prises dans l'épaisseur du mur.

L'étendue du site au-delà des limites connues est envisageable en raison de la présence de trois ensembles de structures détectés au Moulin du Ru, en rive droite du Cher, sur la commune de Monthou-sur-Cher, à 2 km de Thésée et 1,2 km des Mazelles. Les deux plus importants, l'un orienté nord-sud et l'autre est-ouest, atteignent une longueur de 100m. Un troisième ensemble, plus à l'ouest, présente la forme d'un carré inscrit dans un rectangle rappelant un fanum. Le mobilier recueilli en surface dans ce secteur donne une fourchette de datation comprise entre la 2e moitié du 1er et la fin du 2e ou début du 3e s. ap. J.-C. (MAROT 2004), chronologie qui s'intègre à celle fixée pour l'ensemble du site.

L'interprétation des bâtiments repérés est incertaine. Ces constructions sont peut-être directement liées à l'agglomération de Tasciaca ou sont les vestiges de la résidence d'un important négociant implantée à proximité. Cependant, la bordure d'un quai, visible à l'étiage sur 27 m de long, et les traces fossiles de bâti et de voie repérées entre les Mazelles et les vestiges du Moulin du Ru établissent une liaison entre eux.

Il est impossible, dans l'état actuel des connaissances, de déterminer avec certitude l'organisation structurelle de Tasciaca dont l'environnement est jalonné de sites gallo-romains, en particulier à Saint Romain-sur-Cher où le village des « Cormins », distant de 3 km des limites orientales de Thésée, a été mis au jour en 2004 (SALÉ, FOURNIER 2004).

Les témoins les plus tardifs de l'occupation gallo-romaine sont de rares tessons de céramiques : sigillées tardives et céramiques à l'éponge, datées de la fin du 3e et du 4e s. ap. J.-C.

L'hypothèse d'un abandon du site causé par des crues du Cher a été avancée. Cependant, son occupation au Haut Moyen Âge est attestée par plusieurs indices découverts à Thésée :

* la nécropole à sarcophages mise au jour, au siècle dernier, autour de l'église ;

* une inscription datée du 8e ou 9e s. : « TU SUMME MARTIR GEORGI, SUSCIPE MUNUS DE FIDELIBUS TUIS CONSTANTIO ET...», gravée sur un linteau de pierre situé au-dessus de la porte sud de l'église actuelle et peut-être témoin de l'église initiale (BOURASSÉ, CHEVALIER 1869).

Par ailleurs, des tiers de sous d'or mérovingiens portant les mentions « Thaisacas » et « Pauliaco » ont été attribués à des ateliers monétaires localisés respectivement à Thésée et à Pouillé.

Les petits villages calmes de Thésée, Pouillé et Monthou-sur-Cher cachent un long et riche passé. L'importance de Tasciaca durant la période romaine et plus particulièrement durant le Haut-Empire tient indéniablement à la présence du Cher, voie fluviale pérenne, dont le rôle a été primordial pour le développement de l'agglomération.

L'essor économique et commercial atteint son apogée dans le courant du 2e siècle, avec des activités artisanales multiples, parmi lesquelles l'activité potière domine largement, et un réseau d'échanges commerciaux permettant l'importation d'objets, en provenance de Gaule du sud (céramiques sigillées) et de Gaule centrale (céramiques sigillées, céramiques à parois fines, mortiers, vaisselle en bronze...), et l'exportation des céramiques produites localement, dont l'aire de diffusion s'étend jusqu'à l'embouchure de la Loire.

Il semble manifeste que l'édification des Mazelles, par la stature des constructions, corresponde à un choix politique et/ou commercial visant à afficher la prospérité et la richesse du lieu ou du/des commanditaires.

Voir aussi :
- La Carte de Peutinger et la Touraine
- Les agglomérations secondaires gallo-romaines
- L'architecture monumentale gallo-romaine
- Les ateliers monétaires mérovingiens (6e-7e s.)
- Saint-Romain-sur-Cher (41), « Les Cormins » : l'agglomération gallo-romaine et l'occupation médiévale

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