Les sarcophages trapézoïdaux constituent un mode d'inhumation relativement courant sur les sites funéraires du haut Moyen Âge. La forme - toujours trapézoïdale mais plus ou moins prononcée, les dimensions, la qualité de la taille et les éventuels décors rencontrés sont très variables.
Si les sarcophages, en Touraine comme ailleurs, ont fait l'objet de nombreuses études, on constate l'absence quasi-totale de travaux sur leurs lieux de production. En 1976, Charles Lelong a publié pourtant une carte de répartition des « ateliers de sarcophages » de Touraine (LELONG 1976), définie d'après les mentions de matériaux par les archéologues et érudits locaux depuis le 19e s., mais apparemment sans vérifications de terrain permettant de mettre en évidence ces « ateliers ». Sur les dix sites pointés sur la carte, la carrière du Moulin à Panzoult était alors la seule carrière de sarcophages connue (document 1).
État des recherches sur les lieux de fabrication des sarcophages de Touraine (carte 1)
La découverte en 2008 de nouvelles carrières de sarcophages sur la commune de Panzoult (BOUCHER 2009) permettait de lancer en Touraine les recherches sur ce type de vestiges et sur un artisanat certainement important durant le haut Moyen Age, comme en témoignent les nombreux sarcophages découverts depuis le 19e s (carte 2) (BLANCHARD, GEORGES 2003, BLANCHARD 2014, MORLEGHEM 2011).
L'observation macroscopique d'échantillons de sarcophages inventoriés en Indre-et-Loire et de carrières reconnues ont permis de mettre en évidence 37 groupes lithologiques ; mais toutes les carrières correspondantes ne sont pas connues, loin s'en faut. Au sein d'un même site de production, plusieurs carrières peuvent toutefois présenter des faciès pétrographiques différents. La majorité des sarcophages est façonnée dans les divers types de calcaires affleurant dans la région (LECOINTRE, LAPPARENT 1978). Quelques exemplaires en grès, d'origine probablement exogène, ont néanmoins été retrouvés à Tours et à Braye-sous-Faye.
En l'état actuel des recherches onze sites de carrières ou zones probables de fabrication peuvent être identifiés, avec un niveau de fiabilité et de précision variable (carte 1) :
-les sites attestés : les carrières de Panzoult, le site des Roches à Saint-Epain, la vallée de Courtineau (communes de Saint-Epain et Sainte-Maure-de-Touraine principalement) ;
-les sites probables : il s'agit des carrières de Gizeux et de Savonnières, où plusieurs indices suggèrent qu'elles ont pu être utilisées en partie pour la production de sarcophages ;
-les zones d'origine probable, définies d'après la détermination des matériaux des sarcophages retrouvés (pierre de Marcilly, pierre de Saint-Paterne, pierre de Savigné, pierre de Bourré, pierre de Clion), mais où aucune carrière n'est encore reconnue ;
-les zones de production dites « opportunistes » : il s'agit de cas isolés, comme celui de la nécropole du Breuil (commune de Courçay), où les deux sarcophages d'enfant découverts n'ont pas été extraits d'une véritable carrière, mais ont apparemment été taillés dans des blocs de dimensions suffisantes affleurant à proximité de la nécropole (sur le plateau d'Athée-sur-Cher).
La production des sarcophages de pierre durant le haut Moyen Age en Touraine
Le choix du site
L'implantation topographique des carrières de sarcophages obéit à plusieurs critères que l'on peut mettre en évidence par l'analyse comparative des sites (BEDON 1985) :
-la topographie du site : généralement à flanc de coteau (cf. infra) ;
-la proximité d'un cours d'eau : permettant l'évacuation des blocs hors du site vers le réseau hydrographique régional, a priori le principal vecteur de la diffusion des sarcophages ;
-la pierre : le sous-sol de Touraine est composé majoritairement de roches calcaires dont les qualités (stratification, dureté, résistance...) autorisent la confection de sarcophages, relativement fragiles une fois taillés ;
Un dernier facteur, la propriété du sol, sans doute déterminant dans le choix du site d'extraction, nous échappe entièrement. La production et la diffusion des sarcophages constituent en effet une activité importante (lucrative ?), sans doute organisée et contrôlée par les autorités laïques ou ecclésiastiques (BARATIN 1973), mais aucune source textuelle ne nous renseigne à ce sujet.
Typologie des carrières
-Les carrières souterraines
Toutes les carrières souterraines de sarcophages en Touraine sont à entrée par bouche de cavage (à l'horizontale) et à piliers tournés (masses de roche laissée pour soutenir le ciel de carrière). Ce type d'exploitation permet un accès direct à la roche saine et exploitable. La hauteur des galeries est généralement comprise entre 3 et 5 m (document 1, document 2 et document 3).
-L'extraction à ciel ouvert
L'exploitation à ciel ouvert est assez marginale sur les sites considérés, et s'observe dans deux cas :
-lors de l'ouverture d'une carrière souterraine, afin d'obtenir une paroi verticale ;
-pour aménager le site, en réduisant la pente par la création de « gradins » ou de rampes par exemple.
Seule la carrière de Gizeux est intégralement à ciel ouvert ce qui s'explique d'une part par la pierre exploitée (un grès du Sénonien) et de l'autre par la situation topographique de cette exploitation : des plaques de roche de 1 m à 1,50 m d'épaisseur, au pied d'une butte.
L'organisation de la production
-Les techniques et méthodes d'extraction
Le pic de carrier, le mortaisoir, le coin métallique et probablement la pince de carrier constituent l'outillage utilisé pour l'extraction des roches calcaires, en Touraine comme dans d'autres régions (BESSAC 1986).
Le bloc (couvercle ou cuve) est détaché en deux temps : tout d'abord, d'étroites tranchées périphériques sont creusées, afin que le bloc n'adhère plus que sur un côté à la masse rocheuse ; ensuite, un nombre variable d'emboîtures (creusements triangulaires profonds de 1 à 1,5 cm) sont réalisées à sa base, dans lesquelles on insère des coins métalliques en forçant de manière à provoquer une fracture de la roche. Une variante, seulement supposée, consisterait à introduire une pince de carrier dans une des tranchées puis à l'utiliser comme levier.
Les blocs peuvent être extraits en lit (dans le sens géologique de la sédimentation des roches) ou en délit, en fonction de la stratification de la roche et de ses qualités techniques.
-Les stratégies d'exploitation
L'étude des négatifs de blocs visibles sur les parois, le sol et le ciel de carrière permet de restituer l'organisation de l'exploitation, de l'ouverture de la carrière à l'arrêt du chantier. Il est ainsi possible de mettre en évidence un canevas d'extraction pour chaque carrière.
A Doué-la-Fontaine (Maine-et-Loire) par exemple, dans la carrière de la Seigneurie (COUSIN 2002), datée entre le 6e et le 9e s., les carriers ont suivi le même schéma d'extraction, comme sur presque tous les autres sites. Il ne semble pas y avoir de techniques locales particulières, mais plutôt une adaptation aux contraintes de la pierre. A Panzoult pourtant, la multiplicité des stratégies d'exploitation mises en œuvre sur l'ensemble du site et parfois même au sein d'une même carrière peut étonner. Ces schémas ne tenant pas compte des différents faciès pétrographiques présents sur le site, on peut se demander s'ils ne peuvent pas être le fait de plusieurs chefs de chantiers (opérant simultanément ou se succédant ?) et ayant chacun leur propre stratégie (document 5) (MORLEGHEM 2011).
Les déchets occasionnés par l'extraction et la taille des blocs étaient stockés dans un premier temps à l'extérieur des cavités, permettant l'aménagement de terrasses (Panzoult), et dans un second temps, à l'intérieur des galeries précédemment creusées, jusqu'à les combler presque complètement.
L'aire de diffusion des carrières de Touraine
Il est encore difficile de rendre compte de la diffusion des produits des différentes carrières reconnues, leur étude n'en étant qu'à son commencement, et un trop faible nombre de sarcophages ayant fait l'objet d'analyses pétrographiques fiables permettant de les attribuer avec assurance à un site de fabrication précis (carte 3).
Le nombre des carrières, la surface exploitée et le nombre de sarcophages produits permettent d'évaluer l'importance relative d'un site, et donc d'estimer son rayonnement probable à l'échelle locale ou régionale.
L'approvisionnement des nécropoles et cimetières en sarcophages pouvait se faire auprès de centres carriers différents : deux au moins dans le cas de Chinon, Crouzilles et du Grand-Pressigny, cinq à Braye-sous-Faye et huit à Tours. La pierre la mieux représentée correspond souvent à un centre carrier situé à proximité : les carrières de Panzoult ont ainsi en grande partie alimenté les sites de Chinon, Crouzilles et de Braye-sous-Faye, dans ou à proximité de la vallée de la Vienne. Au contraire, on retrouve à Tours des sarcophages en grès, de provenance nécessairement plus lointaine ; et certains exemplaires de Braye-sous-Faye pourraient provenir des carrières de Doué-la-Fontaine.
La répartition des sites funéraires recelant des sarcophages et les premières données disponibles pour la production des sites de Panzoult, de la vallée de Courtineau et de Clion suggèrent que les cours d'eau ont constitué les principales voies de diffusion.
L'étude en cours des sarcophages de la région apportera des informations complémentaires sur l'aire de diffusion de chaque centre carrier ainsi que sur la hiérarchisation des sites et l'évolution de l'économie du sarcophage durant le haut Moyen Age.
Voir aussi :