Le bassin versant de la Choisille, affluent de la Loire au Nord de Tours, s'étend sur 288 km². Il sert depuis 2003 de cadre géographique commun d'investigation pour les équipes investies dans un volet du programme ECLIPSE 2, qui visait notamment à mesurer l'impact des activités anthropiques sur l'érosion des sols. Cet objectif a nécessité le croisement de sources archéologiques, palynologiques et sédimentologiques (POIRIER et al. 2012 ; 2013).
Une approche archéologique "extensive" documentée par la prospection systématique au sol est apparue comme la mieux adaptée pour localiser, dans la longue durée, l'emprise des activités humaines et estimer leur intensité. La procédure de terrain reprend pour l'essentiel la procédure en deux passages mise au point à l'occasion des prospections réalisées dans la commune proche de Neuvy-le-Roi (POIROT 1998). Le bassin versant de la Choisille a fait l'objet de trois campagnes hivernales de prospection systématique entre 2006 et 2008 par le Laboratoire Archéologie et Territoires (CNRS UMR 7324 CITERES, Tours) (carte 1). L'implantation des secteurs prospectés visait à documenter l'amont et l'aval d'un sous-bassin hydrographique (secteurs 1 et 2) et le cours supérieur de la Choisille, plus en aval (secteur 3). Environ 300 ha ont été prospectés au total, permettant la découverte de 35 sites inédits datables de la Préhistoire à la période moderne et la collecte de 40 000 artefacts hors site (carte 1). Le faible nombre de sites anciens découverts peut plaider en faveur d'une fixation précoce des points de peuplement à proximité de leur position actuelle, ou témoigner d'une occupation peu développée jusqu'à une date tardive. La restitution des dynamiques de l'occupation du sol repose donc plutôt sur des indicateurs d'intensité et d'emprise de l'exploitation agraire des trois secteurs d'investigation telle qu'elle est lisible grâce aux variations du mobilier hors site, interprété comme vestige d'épandage agraire (POIRIER, NUNINGER 2012). Les deux courbes de densité et d'emprise spatiale des épandages présentent globalement le même profil dans les trois secteurs amont, central et aval (Document 1). On y voit partout une présence faible à moyenne au cours de la Protohistoire, une forme de « pic » au cours de la période romaine (1er - 3e s.), puis une décroissance généralisée - mais plus ou moins forte - au cours de l'Antiquité tardive et du haut Moyen Âge (4e - 7e s.). Le maintien (relatif) de l'occupation du secteur 3 est peut-être à mettre en relation avec la présence de l'agglomération secondaire antique de Chanceaux-sur-Choisille (HERVE 2014) qui a probablement contribué à mettre en valeur et organiser cet espace, au moins du point de vue agraire. Au Moyen Age central (XIIe - XVe s.), une nouvelle augmentation des superficies amendées et - dans une bien moindre mesure - des densités de mobilier récolté est constatée dans les trois secteurs, mais selon des amplitudes variées. Enfin la période moderne et contemporaine (16e - 20e s.) est lisible partout comme une phase de reprise et de développement importants. Les différences entre les trois secteurs concernent donc essentiellement l'intensité des évolutions, et non pas leur sens.
L'étude des sondages polliniques montre un couvert forestier déjà en déclin à l'Âge du Bronze, sur lequel la pression s'accentue jusqu'à la fin du Moyen Âge où une reprise forestière est observée (Document 2). Les activités anthropiques sont attestées dès l'Âge du Bronze, essentiellement sous la forme d'un système prairial caractéristique du pastoralisme, tandis que la céréaliculture est en retrait. Sur l'ensemble de la séquence chronologique, c'est l'élevage qui apparaît comme l'activité dominante, en particulier au haut Moyen Âge. La reprise forestière de la fin du Moyen Age est également bien visible, et l'étude des sources écrites a permis d'en préciser les modalités et pratiques sous-jacentes (POIRIER et al. 2013).
L'étude des sédiments alluviaux le long de plusieurs transects de l'amont vers l'aval a permis de mettre en évidence 8 phases différentes d'évolutions de la dynamique fluviatile (MORIN et al. 2011). Les phases 1 à 6 témoignent d'une évolution de la dynamique fluviatile en contexte naturel, sous contrôle climatique strict, notamment à travers l'occupation du sol par la végétation. Les phases 7 et 8 montrent la reprise intense de la sédimentation dans la plaine alluvaile (Document 3). Cette évolution est interprétée comme la conséquence d'une augmentation de l'érosion sur les versants à mettre en relation avec la déforestation et la mise en valeur agricole mise en évidence par les données archéologiques et palynologiques. Les dépôts associés à ces deux phases constituent généralement une grande partie du comblement fluviatile dans le bassin de la Choisille où ils peuvent atteindre plus de 3 m d'épaisseur. Cela démontre donc un fort impact anthropique sur l'érosion des versants et la sédimentation associée en fond de vallée dès l'Âge du Bronze, s'intensifiant à partir du Moyen Âge central.
L'expérience menée dans la vallée de la Choisille a donc permis la confrontation de différentes sources d'information qui conduit à mettre en évidence l'intensité croissante de l'impact des activités humaines sur les dynamiques érosives depuis le dernier millénaire (POIRIER et al. 2012). Elle fournit également un témoignage de l'inertie qui affecte les changements environnementaux et les « temps de réponse » du milieu aux variations paysagères et culturales.
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