La carte de Cassini (1756-1789)


Nicolas Poirier

Le 17e siècle et surtout le 18e siècle voient se multiplier le recours aux cartes. Les besoins sont manifestes, tant pour gérer plus efficacement les territoires, répartir les impôts, rectifier le tracé d'anciennes routes ou en créer de nouvelles que pour des nécessités de stratégie militaire. Le plus grand nombre des cartes réalisées à cette époque est l'œuvre des militaires et concerne particulièrement les frontières du Royaume et les théâtres d'opérations militaires. D'autre part, une vaste campagne de réfection des plans terriers est lancée : les arpenteurs, sous la conduite des propriétaires ou des gérants, offrent une connaissance plus précise du patrimoine foncier pour engager des actions dont l'objectif est d'améliorer la rentabilité de ces biens.

La Carte de France dite « Carte de Cassini » doit son nom à une lignée d'astronomes et de géographes d'origine italienne qui s'installent en France dans le dernier tiers du 17e siècle. Voulue par le roi Louis XV, la carte de Cassini est issue de la coordination, par le maître d'œuvre César-François Cassini de Thury (Cassini III), d'un ensemble d'équipes d'ingénieurs et de graveurs formés spécialement. Elle constitue la première grande enquête toponymique nationale. Les objectifs posés sont les suivants : « Mesurer les distances par triangulation et assurer ainsi le positionnement exact des lieux », « mesurer le Royaume, c'est-à-dire déterminer le nombre innombrable de bourgs, villes et villages semés dans toute son étendue », « représenter ce qui est immuable dans le paysage » (EHESS 2006).

Fondée sur une triangulation générale, cette carte géométrique repose sur le positionnement de quelque 300 points par feuille. Ce procédé de levées nécessite d'effectuer les visées à partir des points élevés du paysage (les clochers, les tours, les points haut de collines, etc.) dont les coordonnées sont donc précisément calculées. Le tracé des routes et des rivières est en revanche dessiné, et le relief seulement esquissé.

Son homogénéité et sa précision font de la Carte de Cassini un document vraiment novateur, qualités qui résultent de l'utilisation de la triangulation générale de la France et du caractère géométrique de la carte. Il s'agit également de la première grande enquête toponymique au plan national. Les formes des toponymes proviennent des usages locaux collectés auprès des habitants des lieux cartographiés. C'est enfin la première vue d'ensemble du Royaume grâce à laquelle l'occupation de l'espace et l'exploitation du sol sont documentées par la grande variété des symboles utilisés. Les symboles utilisés pour représenter les éléments du paysage nous informent également sur les modes de hiérarchisation choisis. Les lieux habités sont distingués selon qu'ils sont groupés ou dispersés, les villes selon qu'elles sont ouvertes, fermées ou fortifiées, les villages selon qu'ils abritent ou non un château, etc. Les lieux religieux sont représentés en fonction de leur hiérarchie : abbaye, prieuré, chapelle, collégiale, commanderie, église (paroissiale ou non), etc. Le caractère actif ou ruiné des lieux représentés est également précisé.

En revanche, la topographie de détail ne fait l'objet d'aucune mesure précise. Les ingénieurs dessinent à vue c'est-à-dire « à peu près les hauteurs, les vallons, les contours des bois, la direction des chemins, le cours des rivières ». Le réseau routier secondaire est absent de la carte au prétexte du manque de stabilité de cet élément important qui relie les villages entre eux (PELLETIER 1990 ; 2002).

Il faut bien reconnaître que l'utilisation de la carte de Cassini n'est pas adaptée à l'échelle départementale de toute l'Indre-et-Loire, pour laquelle on ne discernerait que les masses informes des espaces boisés, dont les contours ne sont d'ailleurs qu'approximatifs. L'échelle efficace de sa mobilisation est celle de sa levée, au 1/86400e. Son potentiel informatif apparaît alors pour ce qui concerne la dynamique de l'habitat, la présence ou l'absence de certains espaces boisés ou humides, l'activité des cours d'eau par la mention de chenaux morts ou actifs, ou enfin l'exploitation de ces mêmes cours d'eau par la mention de nombreux moulins (carte 1).

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