La pile de Cinq-Mars-la-Pile se situe sur la rive droite de la Loire (près de la confluence du Cher sur la Loire), à mi-pente du coteau et probablement à proximité d'une voie terrestre antique (PROVOST 1993 : Pl. VIII ; BOBEAU 1898 : 171). Le monument a la forme d'une tour de près de 30 mètres de haut. Il est parfaitement conservé et construit en opus testaceum sur un noyau interne de moellons de calcaire et de silex liés au mortier. Au-delà de son état de conservation exceptionnel et de sa construction atypique en briques (appareil fréquent en Italie, rare en Gaule), l'édifice se singularise par la présence, sur la face sud de son second étage, de douze panneaux « mosaïqués » : y alternent, dans un jeu de polychromie, des briques de formes géométriques et des moellons de calcaire taillés (document 1). Ce style décoratif n'est apparemment attesté qu'à Rome et ses environs durant la seconde moitié du 2e s. (LUGLI 1957 : 608). Enfin, la pile est couronnée d'une petite pyramide tronquée et actuellement de quatre piliers de briques.
L'hypothèse la plus fréquemment admise concernant cette pile est d'y voir un monument funéraire, par analogie avec les piles du sud-ouest de la France (SILLIÈRES, SOUKIASSIAN 1993 : 300). Toutefois, la fouille menée en 2005 par le Conseil Général d'Indre-et-Loire aux abords de l'édifice (MAROT 2005 ; MAROT 2006) n'a pas mis au jour les preuves matérielles de cette fonction et n'a pas livré d'éléments datant sa construction, puisque la terrasse sur laquelle est installée la pile a été totalement remaniée (fouilles du 19e s., pillages divers...).
En revanche, les recherches récentes ont apporté de nouveaux éléments sur les maçonneries antiques en élévation directement au nord de la pile, maçonneries qui n'avaient jamais fait réellement jusqu'à présent l'objet d'investigations (document 2).
Il s'agit ici d'une construction créant une terrasse haute, implantée sur un surplomb naturel et dont on pense qu'elle est antérieure à la pile. Les murs de terrasse, en petit appareil régulier rythmé par des pilastres, chemisent le coteau et accentuent le micro-relief rocheux. Des remblais de construction ont été apportés dans l'espace défini par ces murs au fur et à mesure de leur élévation : ils contribuent ainsi à créer une terrasse, dont le niveau de circulation se situe 4 m plus haut que celui de la terrasse basse où se trouve la base de la pile. Par de rares fragments de céramique, ces remblais de construction sont datés prudemment de la seconde moitié du 2e s. ou du tout début du 3e s. Par le choix de son implantation topographique, le mode de construction et ses volumes architecturaux, cet édifice se veut monumental et se démarque nettement du paysage naturel environnant.
Sur cette plateforme, actuellement très érodée, a été découvert un petit bâtiment rectangulaire semi-excavé, enfoui d'1,25 m par rapport au niveau de circulation présumé de la terrasse haute. Le bâtiment a malheureusement été pillé avant sa destruction, ce qui est ici encore particulièrement dommageable pour sa datation et la compréhension de sa fonction. La fouille aura toutefois permis de supposer que son accès s'effectuait par le sud, grâce à un petit escalier descendant depuis la plateforme de la terrasse haute, qu'une niche devait exister sur son mur nord, côté interne et qu'enfin le bâtiment était muni d'un plancher.
La principale découverte de cette campagne de fouilles est celle, sur les remblais de construction de la terrasse, d'une statue représentant Sabazios, divinité d'origine orientale : plutôt que de faciliter la compréhension du bâtiment, cette statue pourrait, bien au contraire, nous orienter vers une fonction cultuelle de l'ensemble architectural, hypothèse que nous n'aurions probablement jamais avancée sans cela.
L'interprétation très délicate de cet ensemble doit donc se faire en l'absence des niveaux d'occupation interne et externe et des niveaux de démolition. Deux hypothèses semblent plus probables : on avancera ainsi soit celle d'un sanctuaire, soit celle d‘un mausolée, peut-être d'un cénotaphe (document 3).
Dans l'hypothèse d'un sanctuaire, où le bâtiment semi-excavé ferait office d'aedes, la divinité tutélaire des lieux n'est pas forcément Sabazios, ce qui s'accorde d'une part avec sa position de découverte en dehors de l'hypothétique aedes, d'autre part et surtout avec ce que l'on connaît ailleurs dans l'Empire romain, où Sabazios est une divinité accompagnante (TURCAN 2004 : 316). L'hypothèse cultuelle est en fait très fragile et se heurte à de nombreux détails architecturaux qui ne la confortent pas.
Le monument peut alors être interprété comme un mausolée, hypothèse qui a le mérite d'intégrer la fonction funéraire supposée de la pile : il est ainsi possible de voir le bâtiment excavé comme un caveau accueillant le corps du défunt ou ses cendres, la niche dans le mur nord servant alors de loculus. Quant à la statue, elle pourrait simplement indiquer que le défunt était un adepte de Sabazios. On imagine enfin que, comme les piles funéraires du sud-ouest, d'autres sépultures ont pu prendre place sur la terrasse haute dont les murs ont pu former l'enclos funéraire qui fait défaut au pied de la pile. Ainsi, au travers de cette hypothèse, le bâtiment excavé et la terrasse formée par les murs de soutènement peuvent constituer une nécropole familiale ou sa plus belle tombe, peut-être celle de l'ancêtre le plus illustre. L'hypothèse funéraire pour cet ensemble monumental est donc la plus séduisante, celle qui s'accorde le mieux de la fonction la plus probable de la pile, mais se heurte à l'absence totale d'éléments funéraires sur le site, ce qui ne peut toutefois être un argument définitif, puisque, rappelons-le, le site est très érodé et a été profondément remanié.
La découverte de ce nouveau monument et de la statue de Sabazios autorise une reconsidération chronologique de la pile de Cinq-Mars. Ainsi, il est impossible de déterminer si le constructeur de la pile est le même que celui qui a fait bâtir l'espace monumental directement au nord : pour le moment, on pense que la pile pourrait avoir été construite par une deuxième génération dans la seconde moitié du 2e s. ou le début du 3e s., soit pour signaler le sanctuaire, soit, plus vraisemblablement, pour marquer encore plus l'emplacement du mausolée ou du cénotaphe d'un ancêtre vénérable, pour signifier son importance et, ici, pour faire étalage (aux passants empruntant la voie terrestre ou fluviale) de sa richesse et de sa culture. En ce sens, ce mausolée correspondrait à un lieu de culte familial où l'on rendait hommage aux aïeux et, surtout, où était affichée l'importance de la gens familia par la monumentalisation de la tombe d'un ancêtre, peut-être jusqu'à vouloir en faire un « lieu de mémoire » (LAMOINE 2004 : 444). Cette monumentalisation répondrait plus à une tradition exogène, celle de « l'ostentation pérenne du tombeau monumentalisé » (FERDIÈRE 2004 : 51).
Ainsi, par leurs caractéristiques architecturales, par les quelques comparaisons architecturales et stylistiques avec Rome et Ostie et maintenant par la présence d'une divinité d'origine orientale (pour laquelle le Latium et la Campanie correspondent à un foyer de culte important ; LANE 1989), la pile de Cinq-Mars et l'ensemble monumental directement au nord semblent être une affirmation de la culture romaine ou italienne en Gaule et en milieu rural. Cette manifestation est si ostentatoire, dans l'esprit et en terme de coût, qu'elle ne peut être le fait que d'un membre de l'élite romaine ou du moins gallo-romaine (grand propriétaire foncier), alors profondément acculturé, pour ne pas dire clairement romanisé.
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