Chinon, l'évolution du site castral de la fin de l'âge du Fer à la fin du Moyen Âge


Bruno Dufaÿ

Le site de Chinon, au bord de la Vienne, est constitué d'un éperon isolé du plateau par une petite vallée sèche (document 1 et document 2). Son accès se fait par l'est. Il domine un point de franchissement de la Vienne en venant de Tours. C'est un itinéraire secondaire vers le sud-ouest, aucun pont n'est attesté avant le milieu du 11e siècle. Au pied du coteau passe un itinéraire est-ouest qui relie Bourges à la Loire et à Angers par la rive droite de la Vienne. Le secteur est une zone frontalière entre les provinces d'Aquitaine et de Lyonnaise, puis entre le Poitou, l'Anjou et la Touraine. C'est pourquoi Chinon est disputé aussi bien au 5e siècle lors de la résistance de l'Empire romain contre les Wisigoths qu'au 11e siècle entre Angevins et Blésois, ou à la fin du 12e entre Capétiens et Plantagenêts. Sa valeur stratégique s'atténue ensuite, mais sa dimension de place de sûreté en fait une prison appréciée des rois, puis un séjour pour la cour repliée lors de la guerre de Cent ans (Charles VII). Encore au 16e siècle, elle sert de point d'appui aux factions des guerres de Religion.

Les fouilles archéologiques récentes (BRYANT 2004 ; DUFAŸ et al. 2004 ; DUFAŸ, LEFEBVRE, RIOU 2005 ; DUFAŸ (dir.) 2008 ; DUFAŸ 2009 ; DUFAŸ 2010ab ; DUFAŸ 2011 ; DUFAŸ, CAPRON 2012) témoignent d'une occupation humaine dès le début de l'âge du Fer (Hallstatt B2-B3, vers 900 avant J.-C.). Limitée à une fosse contenant un mobilier céramique de qualité, elle ne peut être caractérisée. À la toute fin de la période, l'éperon est à nouveau occupé. Un enclos quadrangulaire fossoyé et une sépulture de guerrier (document 3) ont été repérés, signalant l'habitat privilégié d'un militaire immédiatement après la conquête romaine (entre -50 et -25). Du mobilier redéposé de La Tène finale a par ailleurs été trouvé sur l'éperon, tandis que quelques monnaies gauloises ont été ramassées anciennement dans la ville actuelle. On ne peut toutefois compter Chinon comme un oppidum, à cause de sa petite taille (4 ha) (LARUAZ 2005b, 2008, 2009a).

L'occupation du site est continue depuis cette date. Un édifice avec hypocauste a été découvert au 19e siècle, et divers mobiliers (gros lapidaire, céramique, fragments de torchis, tegulae) retrouvés tant lors de travaux que lors des fouilles récentes attestent une réelle occupation depuis le début de notre ère (carte 2). Il est toutefois impossible de le caractériser précisément. En contrebas, Chinon est un petit bourg, village-rue au bord de la rivière pour ce que nous pouvons en juger en l'absence de fouilles sérieuses, sauf à Saint-Mexme (LORANS 2006). Il est cependant suffisamment important pendant l'Antiquité tardive pour qu'une église y soit bâtie au 5e siècle par l'évêque de Tours, traditionnellement identifiée avec l'église Saint-Martin, située peu à l'est du château, au pied du coteau. Dans la première moitié de ce siècle, un monastère est fondé par saint Mexme, présenté comme disciple de saint Martin par Grégoire de Tours. Une enceinte maçonnée existe à cette époque, comme en témoignent plusieurs récits de Grégoire évoquant un castrum dès 463, et la découverte en 2009 d'un tronçon d'une quinzaine de mètres de cette muraille à l'intérieur du château médiéval (carte 3 et document 4).

La documentation archéologique s'amplifie à partir du 7e siècle et surtout des 8-9e siècles. Chinon est alors chef-lieu de viguerie ; un atelier monétaire y est installé (7-8e siècle puis fin du 9e et 10e siècles). De nombreux et vastes silos et des « fonds de cabane » ont été retrouvés, qui signalent une occupation nécessitant l'accumulation de surplus importants. Des remaniements de l'enceinte antique ont lieu pendant l'époque carolingienne, notamment au sud et surtout à l'est du site (carte 4 et document 6). Sa structure générale se précise alors : à l'est, un pôle aristocratique fortifié, avec sans doute une construction de type «aula», domine une basse-cour utilitaire. Le château appartient alors aux comtes de Blois. Thibaut le Tricheur y fait édifier vers 943 une tour qui marque le paysage : c'est la première chose qu'une personne qui retrouve miraculeusement la vue aperçoit alors qu'elle en est distante de trois kilomètres dans la vallée (LORANS 2006 : 521). Un troisième élément est ajouté à l'extrémité occidentale de l'éperon, sans doute au début du 11e siècle : une chapelle castrale dépendant de l'abbaye de Bourgueil, dédiée à saint Mélaine (évêque de Rennes au début du 6e siècle).

A partir du milieu du 11e siècle, le château passe aux mains des Angevins pour 161 ans, avant d'être pris par les armées de Philippe Auguste en 1205. Chinon et la Touraine intègrent alors définitivement le domaine royal. Dans le courant des 11-12e siècles, l'enceinte est entièrement reconstruite et flanquée de tours (carte 5). Quand Henri II Plantagenêt devient roi d'Angleterre, en 1156, il fait de Chinon le centre des possessions continentales d'un empire qui s'étend de l'Écosse aux Pyrénées. Il y entrepose son trésor, il y emprisonne aussi Aliénor d'Aquitaine.... Il y fait construire un palais juste à l'est de la vieille forteresse (le « fort Saint-Georges ») (carte 6 et document 7) avec une chapelle ornée d'un riche décor sculpté polychrome document 8). Cet édifice très important n'est documenté que par les fouilles de 2003-2006.

Les tensions s'exacerbent entre les Plantagenêts et les Capétiens. Dans ce cadre, Jean sans Terre renforce considérablement la défense du site. A chaque extrémité du château, qui devient ainsi le « château du Milieu », il crée un « avant-château » destiné à la protéger. A l'est, il fortifie le palais de son père, à l'ouest, il isole par une douve l'extrémité de l'éperon et y construit deux grosses tours (« fort du Coudray »)(carte 8). On parle désormais des « trois châteaux » de Chinon, qui apparaissent dans les armoiries de la ville. Il fait construire dans le château du Milieu, le long du rempart sud dominant la vallée, une grande salle et un logis pour remplacer les espaces perdus par la militarisation du palais (carte 7).

Philippe Auguste poursuit les travaux des Plantagenêts. Il modifie toutefois la logique générale du site, les deux avant-châteaux devenant des réduits où l'on peut se réfugier plutôt que des point de passage obligés pour pénétrer dans l'édifice (carte 8). En effet, il crée une nouvelle porte à l'articulation entre le château du Milieu et le fort Saint-Georges, qui devient la porte principale. Composée d'un châtelet d'entrée cantonné de deux fortes tours, elle a aujourd'hui disparu (« porte des Champs »). Par ailleurs, le prieuré Saint-Mélaine, détruit par l'aménagement du fort du Coudray, est déplacé dans le château du Milieu, en face de la grande salle et du logis, qui sont agrandis.

La structure générale du château n'est plus modifiée par la suite. Toutefois, les débuts de la guerre de Cent Ans, dans la deuxième moitié du 14e siècle, amènent à une reprise de la plupart des murailles (rehaussées et pourvues de mâchicoulis) et des tours les plus importantes, qui sont surélevées (tour de Boissy, du Coudray et de l'Horloge). L'enceinte urbaine, édifiée à cette époque, vient s'appuyer sur la forteresse. Vers 1370, le duc Louis 1er d'Anjou, qui possède alors le château, fait reconstruire les logis et la grande salle, ainsi qu'un auditoire. La présence régulière de la cour de Charles VII de 1419 au début des années 1430 entraîne des aménagements de confort et de prestige dans les logis, connus depuis cette date sous le nom de « logis royaux)(carte 9 et document 10). C'est là que Jeanne d'Arc rencontre le roi et le convainc de reprendre la guerre contre les Anglais et d'aller se faire sacrer à Reims.

Le château n'est plus visité par les rois dès le 16e siècle, et tombe peu à peu en ruine. Certains éléments défensifs sont toutefois repris, ponctuellement, lors des guerres de Religion (remise en défense des portes et des tours principales, par la création de petits fossés ou d'avant-corps). Il est en très mauvais état au 17e siècle, et le fort Saint-Georges disparaît pratiquement du paysage à la fin du 18e siècle. Privatisé après la Révolution, il n'est racheté par la ville qu'en 2003, puis par le département deux ans après. Classé Monument Historique par Prosper Mérimée, le reste du château a été récupéré par le département dès le 19e siècle. En 2010 s'achèvent de très importants travaux de restauration et de restructuration par le Conseil Général d'Indre-et-Loire, destinés à en accroître la fréquentation touristique. C'est à cette occasion que des fouilles ont été réalisées qui ont renouvelé considérablement la connaissance de ce site.

Voir aussi :
- Chinon, la collégiale Saint-Mexme
- Les castra de l'Antiquité tardive et du haut Moyen Age (400-900)
- Chinon, la chapelle Sainte-Radegonde
- Les agglomérations à la fin de l'âge du Fer, 200 à 25 av. n.-è.
- Châteaux et enceintes urbaines à la fin du Moyen Age
- Les châteaux du Moyen Age central (900-1200)

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