Les ressorts administratifs du haut Moyen Age : conditae et vicariae (8e-10e s.)


Elisabeth Zadora-Rio

Les sources écrites du haut Moyen Age attestent l'existence de subdivisions administratives intermédiaires entre le pagus et la villa, désignées en Touraine d'abord par le terme de condita, puis, à partir des années 840, par celui de vicaria (traduit par viguerie). Elles apparaissent principalement dans les formules de localisation des biens fonciers dans un système de référence spatiale hiérarchisée à trois degrés (in pago illo, in condita illa, in villa illa), attesté pour la première fois vers le milieu du 8e s. dans les Formules de Tours, recueil de formulaires destiné à aider les scribes dans la rédaction des documents. Il reste utilisé jusqu'à la fin du 10e s., à ceci près que la condita est remplacée par la vicaria à partir des années 840 : entre la fin du 8e s. et la fin du 10e s., un quart environ des lieux mentionnés dans les actes sont localisés dans une condita ou une vicaria.

Les chefs-lieux

Dans le pagus de Tours, dont le territoire correspond approximativement à celui de la cité antique des Turons, 21 chefs-lieux de vigueries sont attestés. Il s'agit d'Abilly, Amboise, Betz-le-Château, Bléré, Chambourg-sur-Indre, Chanceaux-sur-Choisille, Chinon, Dolus, Esvres, Genillé, L'Ile-Bouchard, Loches, Luynes (appelé autrefois Maillé), Montlouis-sur-Loire, Mosnes, Mougon (dans la commune de Crouzilles), Neuvy-le-Roi, Pont-de-Ruan, Saunay, Sonzay, auxquels il faut ajouter le siège de la vicaria Anguliacensis, non localisé, mais que les sources permettent de situer à proximité de la Brenne, petit affluent en rive droite de la Loire. Deux autres chefs lieux de vigueries, appartenant l'un au pagus d'Angers (Channay-sur-Lathan) et l'autre au pagus de Poitiers (Braye-sous-Faye), se trouvent sur le territoire actuel de l'Indre-et-Loire, ce qui porte le total à 23 (carte n°1).

Le réseau des vigueries n'était pas figé et on trouve des traces incontestables de transformations : ainsi la villa de Bléré, localisée dans le pagus de Blois et la condita de Pontlevoy en 818, est attestée comme chef-lieu de vicaria dans le pagus de Tours en 940 (carte n°1).

La question se pose également pour certains chefs-lieux si rapprochés qu'on peut douter de leur contemporanéité. C'est le cas de Mougon et de L'Ile-Bouchard, qui ne sont distants que de 3,5 km. La viguerie de Mougon est mentionnée à trois reprises entre 968 et 975, tandis que celle de L'Ile-Bouchard est attestée à deux reprises entre 982 et 988. Sans doute faut-il y voir les deux chefs-lieux successifs du même ressort administratif, Mougon s'effaçant au profit de l'agglomération castrale voisine.

Les vigueries sont très inégalement attestées en nombre d'actes comme en durée (carte n°2). Onze vigueries sur 23 ne sont connues que par une unique mention, ce qui interdit toute évaluation de leur durée. Huit ont été pérennisées au moins pendant une génération. Certaines, qui ne sont attestées que dans deux à cinq actes, comme celles de Chambourg, de Channay-sur-Lathan, d'Esvres, de Montlouis, ont eu une durée au moins égale à un siècle ou un siècle et demi. Par rapport à celles-ci, la viguerie de Chinon, qui est la plus citée en Touraine avec 19 occurrences, est attestée sur une durée relativement courte, de l'ordre d'un demi-siècle. C'est le cas également du seul siège de viguerie qui ait disparu, celui d'Anguliacensis, qui est mentionné à deux reprises à 58 ans d'intervalle (ZADORA-RIO 2008 : 90-94).

Les ressorts administratifs

On admet habituellement que le pagus, la condita ou vicaria et la villa constituent des territoires emboîtés, mais la situation apparaît souvent plus complexe et les chevauchements sont loin d'être rares.

Certaines vigueries s'étendaient sur deux ou trois pagi. La viguerie de Chinon comprenait ainsi des lieux situés dans le pagus de Poitiers et dans celui d'Angers. La viguerie d'Ingrandes, dont le chef-lieu était situé dans le pagus de Poitiers, s'étendait dans le pagus de Tours : la villa Nocearius (Noyers, dans la commune de Nouâtre) est localisée dans le pagus de Tours et la viguerie d'Ingrandes vers 985.

Certaines villae appartenaient à deux vigueries, voire à deux pagi. La villa de Han, mentionnée à plusieurs reprises au cours des deux dernières décennies du 10e s., est localisée tantôt dans le pagus de Poitiers et dans la vicaria de Loudun, tantôt dans le pagus de Tours et la vicaria de Chinon, et dans un cas, de façon encore plus explicite, « en partie dans le pagus de Tours et la viguerie de Chinon et en partie dans le pagus de Poitiers et la viguerie de Loudun ». Si la viguerie de Chinon au 10e s. relevait certainement des comtes de Blois, celle de Loudun était dans la mouvance des comtes d'Anjou, qui possédaient dès 973-975 des bénéfices importants en Loudunois.

Dans l'analyse de la répartition des chefs-lieux de vigueries, il faut certainement tenir compte de l'imbrication des possessions des comtes de Blois et des comtes d'Anjou au 10e s. Les comtes de Blois ont empiété sur l'Anjou en prenant possession du Saumurois au début du 10e s. (avant 937), mais en revanche les places-fortes d'Amboise, de Loches et de La Haye (Descartes) en Touraine appartenaient au lignage des comtes d'Anjou depuis la fin du 9e s.. On peut penser que l'enchevêtrement des dépendances de la vicaria de Loches et de celle de Dolus (carte n°1) s'explique par le fait qu'elles relevaient d'autorités différentes. Les vigueries relevant du comte d'Anjou et celles relevant du comte de Blois constituaient deux réseaux d'autorité qui se superposaient sur un même territoire (ZADORA-RIO 2008 : 106-110).

Alors qu'à l'époque carolingienne, le terme de vicaria a toujours un sens spatial, il le perd vers la fin du 10e s. A partir du 11e s., il désigne exclusivement les droits de justice, désormais attachés le plus souvent aux châteaux.

Voir aussi :
- Crouzilles, "Mougon" : de l'agglomération antique au village médiéval
- Les castra de l'Antiquité tardive et du haut Moyen Age (400-900)

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