Qu'est-ce-qu'un manoir ?
Différents auteurs ont déjà noté les difficultés à distinguer ce qui sépare dans leur réalité architecturale des édifices aux appellations variées -« maisons-fortes », « hostel », « manoir », domus, etc. ¬- par lesquelles des édifices ou des ensembles monumentaux sont désignés. Si le terme de domus paraît le plus proche de celui de manoir, une domus - même sans le qualificatif qui lui est parfois ajouté de fortis - peut avoir un caractère fortifié. Le qualificatif de manoir, attesté dès le 13e siècle au moins, se retrouve en Angleterre sous l'appellation « manor-house », manorial voulant dire seigneurial. Dans une étude concernant la Bretagne, les auteurs (DOUARD, MIGNOT, CHATENET 1993 : 20-21) ont retenu « le terme local de manoir, qui a l'avantage d'être à l'interface des réalités juridiques et architecturales de la maison noble ». Pour d'autres le mot manoir, qui associe les notions de résidence et de propriété foncière, désigne le logis et l'ensemble des bâtiments d'exploitation qui l'accompagne et les parcelles attenantes (LITOUX, CARRÉ, 2008, p. 43-44). Mais ne pourrait-on en dire autant de tout château ? Uwe Albrecht (ALBRECHT 1994 et 1995), partant de la Touraine mais étendant son enquête à l'ensemble de la France, voire de l'Europe du Nord, préférait utiliser le terme de « petit château », définition qui s'arrêtait donc au seul contexte architectural.
Eric Cron (CRON 1997) a étudié 150 édifices et moyennes demeures seigneuriales dont 95 de manière détaillée bâties entre 1450 et 1550 dans les limites de l'actuel département de l'Indre-et-Loire (carte 1). On pourrait facilement ajouter une centaine d'édifices à cet inventaire qui reste donc à compléter. Des termes variés, « hostel d'hébergement», « hostel » souvent, désignent ces édifices ; au 18e les appellations sont évidemment différentes, une carte de la plaine du Véron en Chinonais distingue, et «maison de noblesse » et « maison principale sans fief » qui dans ce cas ne serait pas une maison noble. C'est bien le fief et donc les terres qui font d'abord la demeure noble, ensuite l'architecture dans certaines de ses caractéristiques, la fortification n'intervenant que pour en indiquer le niveau hiérarchique.
Qualifions donc de manoirs ces demeures de campagne - qui sont loin d'être toutes nobles -, la plupart situées à l'écart des zones d'habitat, environnées de champs ou de bois, lieux d'exploitation d'un domaine : elles enferment des bâtiments utilitaires, des granges pour le stockage du foin en particulier, une écurie ou une étable au moins. Aux limites ou à l'extérieur de l'enclos, des colombiers (fuyes), pour la plupart de plan circulaire, rappellent les droits des possesseurs de fiefs sur les terres. À l'opposé de la porte charretière qui donne accès dans la cour, le logis principal, de plan plus ou moins rectangulaire, se caractérise au rez-de-chaussée par sa bipartition, salle-cuisine, (cette dernière accompagnée éventuellement de pièces annexes, cellier...) (document 1, document 2 et document 3), mais parfois pour les logis les plus modestes ces deux pièces peuvent fusionner.
Si une ou plusieurs tours et tourelles cantonnent parfois les angles du logis (La Cantinière à Beaumont-la-Ronce, le Pouet à Preuilly-sur-Claise), ces dernières restent secondaires par rapport à la tourelle d'escalier hors-oeuvre en façade, signe ostentatoire repris de l'architecture aristocratique. Au Grand-Châtelet à Thilouze, les quatre tours d'angle de la demeure renvoient aux plans des tours maîtresses du type Vincennes (document 4). Conduisant aux chambres de l'étage, la tourelle d'escalier est surmontée dans une dizaine de cas d'une chambre haute. Cette dernière a tendance néanmoins à disparaître après 1510 ou à être reportée ailleurs.
Une aile de retour peut abriter un logis secondaire occupé par le métayer ou le régisseur du domaine (il se trouve alors à l'entrée dans treize cas sur 20 recensés). Une vingtaine de manoirs possèdent une chapelle encore en élévation ; dans presque tous les cas, elle est de plan rectangulaire et ne compte jamais plus de deux travées.
Si l'ensemble des bâtiments peut être clos de murs, de douves (seuls 18 manoirs en possèdent), n'évoquons pas de caractères fortifiés en la matière. Les seuls éléments qui peuvent être reconnus comme tels (portes à pont-levis, canonnières, à Rouvray Chambon, Les Ligneries Charentilly, Le Grand-Chatelet à Thilouze) datent de la Renaissance. Le manoir est donc bien en Touraine une maison des champs ouverte, dans la tradition de celles du 13e siècle, dont les atours fortifiés n'apparaissent qu'à la fin du Moyen Âge ou à la Renaissance. La campagne de reconstruction de ces édifices entreprise entre 1450 et 1550 s'explique dans le contexte du renouveau économique de la fin de la guerre de Cent Ans, de la présence royale et de la montée en puissance des officiers de cour.