Alors que dans l'Antiquité, les morts étaient inhumés à l'écart des vivants, le long des routes, dans les champs ou dans des nécropoles situées à la périphérie des villes, les cimetières paroissiaux médiévaux et modernes sont situés au cœur des villages et des villes, autour des églises (carte 1).
Les fouilles de cimetières paroissiaux n'ont pu se développer que depuis une trentaine d'années, grâce aux progrès des techniques d'analyse par le radiocarbone du collagène des os, qui ont permis de dater les sépultures dépourvues de mobilier funéraire. Bien que peu nombreuses encore, elles ont jeté un éclairage nouveau sur l'évolution des relations des sociétés médiévales avec leurs morts (GALINIE, ZADORA-RIO 1996).
En Touraine, les premières fouilles de cimetières paroissiaux ont été conduites à Tours au début des années 1970 à Saint-Pierre-le-Puellier (site 1) puis à Saint-Pierre-du-Chardonnet (site 10) (GALINIE, MOTTEAU, THEUREAU 1976, GALINIE 2007a; GALINIE 2007b; LORANS, JOLY, TREBUCHET 2007). Elles ont été suivies par celles de Saint-Mexme de Chinon (LORANS 2006) et de Rigny (ZADORA-RIO, GALINIE 2001 ; THEUREAU 2006-2007).
Le rapprochement des morts
Jusque dans les années 1990, on pensait que la constitution de cimetières paroissiaux autour des églises avait été une conséquence immédiate de la christianisation, mais les recherches récentes ont révélé un processus plus complexe. Le développement des fouilles d'habitat ruraux du haut Moyen Age à partir des années 1980-1990 a révélé, en Touraine comme ailleurs, la présence fréquente de sépultures isolées ou en petits groupes, sans lien avec un lieu de culte (BLANCHARD 2014; PECQUEUR 2003; ZADORA-RIO 2003). Leur nombre, encore faible aux 6e-7e s., s'accroît entre le 8e et le 10e s. Ces petits ensembles funéraires, comprenant des sépultures en nombre variable, de quelques unités à deux ou trois dizaines, réunissant des adultes et des immatures, sont aussi fréquemment retrouvés en milieu urbain, en particulier dans les niveaux de « terres noires » qui s'intercalent entre Antiquité et Moyen Age central (GALINIE 2007c; LORANS et al. 2007). Ils témoignent d'un changement de la relation des vivants à l'égard des défunts qui représente une rupture par rapport à l'Antiquité où les morts étaient maintenus à distance.
A Rigny, où contrairement aux habitats ruraux du haut Moyen Age fouillés dans le cadre de l'archéologie préventive, le site est resté occupé jusqu'à l'époque contemporaine, la fouille a permis d'établir que le rapprochement des morts a précédé la constitution du cimetière paroissial. Les morts ont progressivement occupé à partir du milieu du 8e s. des espaces vacants en marge de l'habitat, sur les ruines de bâtiments antérieurs, mais l'église, auprès de laquelle on inhumait pourtant, ne constituait pas un pôle d'attraction pour les sépultures. On peut identifier la mise en place du cimetière paroissial de Rigny avec le recentrage de l'espace funéraire autour de l'église qu'on observe à la fin du 10e s.(ZADORA-RIO, GALINIE 2001)
Les cartes qui accompagnent la notice de Philippe Blanchard sur les lieux d'inhumation du haut Moyen Age suggèrent un phénomène de rapprochement des morts dans le cas des nécropoles rurales qui ont été partiellement fouillées dans le cadre de l'archéologie préventive à Crouzilles, Esvres-sur-Indre, La Celle-Saint-Avant (BLANCHARD 2014, carte 3). Alors que les nécropoles en plein champ de la période précédente (BLANCHARD 2014, carte 2) sont abandonnées avant la fin du 8e s. (à l'exception des nécropoles périurbaines de Tours et de Saint-Mexme de Chinon), celles qui sont en usage entre 800 et 1000 paraissent, dans l'état actuel des connaissances, nouvellement implantées sur l'emplacement de centres paroissiaux attestés au Moyen Age, mais en marge des cimetières médiévaux et modernes. La question se pose également pour des nécropoles fouillées anciennement, et donc mal datées, comme celle de Mougon (MOREAU 2011) ou celle de Pussigny, où de nombreux sarcophages trapézoïdaux dépourvus de mobilier funéraire ont été découverts au début du 20e s. en dehors du cimetière, jusqu'à une distance de 100 m au nord et à l'est de l'église (ZADORA-RIO 1989b : 78).
Les transformations de la topographie et des usages du cimetière
Le cimetière paroissial, expression de la communauté des fidèles, vivants et morts, résulte à la fois d'une longue élaboration doctrinale et d'une évolution des pratiques sociales (LAUWERS 2005a). Le 10e s. paraît marquer une étape importante dans sa conceptualisation : c'est à partir de cette époque qu'apparaît la consécration des cimetières par les évêques, tout comme l'exclusion des criminels, des excommuniés et des non-baptisés de ces espaces funéraires désormais sanctifiés (TREFFORT 1996). C'est également au cours de ce siècle qu'on voit se diffuser les redevances perçues au titre du droit de sépulture, qui devient, à partir du 11e s., la principale prérogative paroissiale et prend le pas sur le droit de baptême (ZADORA-RIO 2008 : 114-116). A la faveur de la structuration effective du système paroissial, entre le 10e et le 12e siècle, l'Eglise a pris le contrôle des lieux d'inhumation et en a fait un moyen d'encadrement de la société (TREFFORT 2010).
Le modèle du cimetière paroissial, lieu d'inhumation communautaire au milieu des vivants, s'est perpétué pendant un millénaire tout en subissant d'importantes transformations.
-Le processus de réduction des espaces funéraires
Les cimetières qui sont restés en usage pendant de nombreux siècles ont connu des fluctuations importantes de leurs limites, mais contrairement à ce qu'on pouvait penser, ils ne se sont pas développés en auréoles concentriques autour de l'église. Dans de nombreux cas, c'est au contraire un processus de réduction de l'espace funéraire qui a été mis en évidence par l'archéologie. A Rigny, cinq étapes de rétraction ont été identifiées entre la fin du 10e et le 19e s. et des observations analogues ont été effectuées ailleurs en France et en Angleterre (BOISSAVIT-CAMUS, ZADORA-RIO 1996 ; PASSARIUS et al. 2008 ; MAYS, HARDING, HEIGHWAY 2007 ; ZADORA-RIO 2003). Le rétrécissement des cimetières s'est accompagné d'une évolution de la gestion des espaces funéraires. Au cours des premières phases d'inhumation, jusque vers le 12e siècle, les recoupements de fosses sont généralement assez rares. A la fin du Moyen Age et plus encore dans les siècles suivants, la rotation des sépultures s'accélère et les ossements erratiques deviennent nombreux dans les couches du cimetière.
-De la cohabitation à la séparation des vivants et des morts
Les fouilles de cimetières paroissiaux révèlent de nombreuses traces d'activités profanes : dépotoirs, décharges de foyers, silos, débris de construction, structures excavées. La nature de l'occupation est généralement difficile à caractériser en raison de l'état fragmentaire des vestiges, recoupés par des inhumations postérieures, mais la polyvalence des espaces funéraires est néanmoins bien attestée tout au long du Moyen Age (BOISSAVIT-CAMUS, ZADORA-RIO 1996, ZADORA-RIO 2003, PASSARIUS, DONAT, CATAFAU 2008). A Rigny, une transformation des usages se produit vers le milieu du 15e s.: à partir de cette époque, les activités profanes furent exclues du cimetière, désormais réservé aux morts.
L'usage résidentiel des cimetières est bien attesté par les sources écrites. Un peu partout en France, de nombreux documents mentionnent l'existence de maisons d'habitation dans les cimetières aux 11e-12e siècles. En Touraine, une demi-douzaine de cas sont attestés dans les actes (cf carte 2). Les cimetières, protégés par le droit d'asile, servaient de refuge en temps de guerre mais ils pouvaient aussi accueillir un habitat permanent (ZADORA-RIO 1989 a). Celui-ci pouvait prendre la forme d'un lotissement progressif, par la donation ou la vente de maisons ou de parcelles à bâtir, ou avoir un caractère plus massif, lors de la fondation de bourgs à l'intérieur du cimetière par les autorités laïques ou ecclésiastiques (ZADORA-RIO 1989 b). A partir du début du 13e siècle, en revanche, on constate un revirement dans l'attitude des autorités ecclésiastiques et les interdictions de construire dans les cimetières, ou de rebâtir toute maison qui aura été inhabitée pendant un an, devinrent récurrentes. La volonté de réserver aux morts les lieux d'inhumation est sans doute une conséquence de la consécration des cimetières, qui s'est imposée progressivement et qui a entraîné une séparation plus tranchée entre le profane et le sacré. Bien attestée dans les textes normatifs à partir du début du 13e s., elle paraît avoir été lente à influencer les pratiques, comme le montrent les fouilles de cimetières paroissiaux.
- Du confinement à l'exclusion des morts
A partir du 17e s., mais surtout au cours du 18e et du 19e s., sous l'influence des nouvelles politiques d'hygiène publique, les morts ont été enterrés de plus en plus profondément dans des espaces de plus en plus réduits et fermés. C'est de cette époque que datent les cimetières étriqués qui sont représentés autour des églises sur les plans du cadastre napoléonien et subsistent encore dans certains villages. Le confinement des morts à l'ombre du clocher a été suivi au cours du 19e et du 20e s. par leur relégation dans de nouveaux cimetières établis à l'écart des agglomérations, comme dans l'Antiquité.
Voir aussi :