L'ancienne église paroissiale Notre-Dame de Rigny, désaffectée depuis le milieu du 19e s., est mentionnée pour la première fois en 1139 dans un acte du pape Innocent II confirmant les possessions de l'abbaye de Cormery, parmi lesquelles « l'église Sainte-Marie de Rigny avec la chapelle d'Ussé ».
Les abords de l'église ont fait l'objet d'une fouille programmée conduite par le Laboratoire Archéologie et Territoires de 1986 à 1999 (Document 1). A l'intérieur, en raison du mauvais état de l'édifice, la Conservation Régionale des Monuments Historiques a limité l'autorisation de fouille à une zone de 3m x 8m, située entre l'aplomb de la clef de voûte du bras sud du transept et le centre de la croisée (ZADORA-RIO, GALINIE 2001 : 187-195). La fouille a révélé l'existence de deux édifices antérieurs à l'église actuelle, attribuée au 11e-12e s. Les trois églises successives ont été désignées, de la plus récente à la plus ancienne, par les lettres Z, Y et X (Document 2). Bien que les chevets emboîtés des églises X et Y n'aient été que partiellement fouillés, leur situation centrée dans la croisée du transept de l'église Z suggère que celle-ci a repris l'orientation des édifices précédents (Carte 2). Cette orientation à 52,5°N, qui présente un décalage de 37,5° par rapport à l'orientation est/ouest habituelle des églises, ne s'explique pas par une adaptation au relief, bien au contraire : en raison de cette orientation malheureuse, le porche s'ouvre face au versant qui est soumis à une forte érosion, et la nécessité de dégager l'entrée des colluvions qui l'encombraient a exercé une forte contrainte sur les habitants. Cette orientation à 52°5 est conforme, en revanche, à un degré près, à celle du bâtiment 14 de la colonge de Rigny (ZADORA-RIO, GALINIE 2014b), ce qui suggère que la première église (église X) s'inscrivait dans le même programme architectural (Carte 2).
L'église X
La première église n'est représentée dans la fouille que par un mur courbe de 0,70 m de large sur à peine 1 m de longueur (Document 3). Ses fondations, débordantes, sont constituées de moellons liés au mortier. L'élévation, conservée sur une seule assise, n'est représentée que par un lit de petit appareil de tuffeau (0,10 x 0,10m) noyé dans le mortier. Les joints larges sont lissés de telle sorte qu'ils constituent quasiment un enduit à l'intérieur comme à l'extérieur. On peut restituer un petit édifice à une nef fermée par une abside orientale. A l'intérieur, un radier de perrons, au niveau des fondations, était surmonté d'un second radier de moellons beaucoup plus petits, directement lié au sol de l'église X. Ce sol, dont il ne restait que le mortier de préparation, était sans doute constitué de dalles ou de carreaux.
La construction de l'église X est postérieure à la construction du bâtiment 14 vers la fin du 7e s., mais antérieure à sa destruction, au plus tard vers le milieu du 8e s., car le bâtiment 14 devait être encore en usage pour pouvoir influencer l'orientation de l'église. La présence de céramique du 10e s. dans les niveaux extérieurs contemporains de l'église X indique qu'elle a été utilisée jusqu'à cette époque. Une sépulture d'enfant, inhumée contre l'abside à l'extérieur, a été datée par accélérateur dans la fourchette 683-990. Cette datation s'inscrit dans la chronologie proposée sans apporter de précision supplémentaire.
L'église Y
La construction de la deuxième église (église Y) intervient après la destruction de l'église X, dont les matériaux sont récupérés ou évacués. Le sol de l'église Y est installé directement sur l'arase du mur de l'abside de l'église X, dont l'intérieur a été comblé par des perrons. Le mur retrouvé lors des fouilles détermine une abside orientée au sud, avec un retour formant un angle avec une autre abside à l'est (Document 3). L'hypothèse d'un plan tréflé a été confirmée par un sondage effectué dans l'axe de l'église, qui a montré que l'abside orientale était un peu plus aplatie que l'abside sud. L'abside septentrionale a été restituée par symétrie avec l'abside méridionale. Les fondations de l'église Y sont construites en tranchée étroite à bain de mortier et débordent de part et d'autre. L'élévation est constituée d'un petit appareil à face carrée en tuffeau, moins régulier que celui de l'église précédente. Le chaînage d'angle entre les absides est en moyen appareil. Pour l'ensemble des parements (intérieur et extérieur) les joints sont larges et lissés.
La construction de l'église Y date au plus tôt du 10e s., puisque l'église X reste en usage jusqu'à cette époque. Son chevet tréflé est comparable à celui de quelques édifices attribués, avec plus ou moins de précision, aux 9e, 10e ou 11e s. (Saint-Saturnin à Saint-Wandrille, Saint-Germain de Querqueville et Fécamp en Normandie, la chapelle à plan tréflé du cimetière des moines à Cluny, la chapelle Saint-Sauveur du château de Langeais en Touraine).
L'église Z
L'église Z, qui présente un plan en croix latine, est beaucoup plus vaste que les précédentes dont les chevets superposés s'inscrivent dans la croisée du transept (Document 2). Sa longueur totale est de 38 m.
La nef unique, longue de 18 m et large de 8m, est composée de trois travées qui étaient initialement couvertes d'une charpente. Le remplacement de celle-ci par un voûtement de pierre a été accompagné par la construction d'arcs-boutants : les massifs de fondation de trois culées d'arcs-boutants, situés dans l'axe de la retombée des voûtes, ont été mis au jour au nord de l'église (Document 4). La fouille a permis d'établir que leur construction pouvait être attribuée au 12e s. et qu'ils ont été rapidement remplacés par des contreforts. En effet, Ils sont stratigraphiquement postérieurs à des sépultures datées du 11e-12e s. et antérieurs aux contreforts qui eux-mêmes précèdent des inhumations associées à des vases funéraires du 12e-13e s.
L'abside de l'église Z était semi-circulaire à l'origine comme le montre le mur cintré (Document 6) conservé au nord dans la partie basse du chevet plat à pans coupés qui l'a remplacée au 14e s.
Au-dessus de la croisée du transept se dresse une tour de clocher. On y accède par une cage d'escalier de plan carré, ouvrant dans le pilier nord-est de la croisée du transept. Si le bras nord du transept, qui comprend un arc de décharge et une baie en plein cintre flanquée de colonnettes, appartient à la construction initiale de l'église Z, le bras sud a été reconstruit, sans doute à la même époque que le chevet. Plusieurs ensembles de fresques, l'un attribué au début du 14e s. (Document 7), les autres au 15e s. (Document 8), ont été partiellement dégagés dans le chœur et dans les bras du transept (SUBES-PICOT 1990).
Sous la croisée du transept, presqu'au centre de celle-ci, se trouve un escalier (Document 4) qui débouche dans un couloir voûté en berceau dont l'extrémité est fermée par un mur plus récent. Le sol du couloir et les premières marches de l'escalier baignent dans l'eau, même en période de sécheresse, ce qui a donné naissance à la tradition d'une source miraculeuse qui a alimenté, jusqu'à une date récente, des pèlerinages, mais qui ne semble pas attestée avant le 19e s. En fait, la présence de l'eau dans les soubassements est certainement due à un exhaussement de la nappe phréatique sous l'effet du colluvionnement. L'escalier et le couloir voûté en berceau devaient conduire initialement à une crypte, aménagée sous l'église Z, condamnée par suite de la remontée de la nappe phréatique (ZADORA-RIO, GALINIE 1992 : 80, 101).
La façade occidentale mesure 10,50 m de large pour environ 18 m de haut. Elle est bordée par deux contreforts fins et élancés, et possède un portail en arc brisé, composé de quatre voussures retombant sur quatre chapiteaux cubiques, soutenus par de fines colonnettes. A droite de ce portail, une niche de 2,30 m de large est aménagée dans le parement externe. La partie supérieure du mur pignon, séparée du reste de l'élévation par un cordon décoré en pointes de diamant, se distingue par une large rose de 2 m de diamètre reprenant le décor du cordon (JOUBERT 1996, 54-56). Sans doute destinée initialement à éclairer l'église, elle ouvre au-dessus du niveau des voûtes.
Les vestiges d'un avant-corps ajouté à la façade occidentale de l'église Z sans doute vers le 13e s. ont été mis au jour par la fouille (Document 4) (ZADORA-RIO, GALINIE 1995 : 215-216). Cette construction était constituée d'un mur-bahut supportant une charpente. On y accédait par un passage latéral ménagé entre l'avant-corps et les contreforts de l'église. Les trous rebouchés visibles sur la façade occidentale permettent de reconstituer l'existence d'une toiture en appentis (Document 5). Ce porche protégeait le portail de l'église contre les colluvions provenant de l'érosion du versant, auxquelles l'église Z était encore plus exposée que les précédentes en raison de son agrandissement vers l'ouest.
En raison des contraintes imposées à la fouille, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'édifice, par le mauvais état de celui-ci, les données archéologiques relatives à la construction de l'église Z sont limitées. La datation de l'édifice repose principalement sur la chronologie relative. La construction de l'église Z est postérieure à celle de l'église Y, datée du 10e s., et elle est antérieure à la mise en place des arcs-boutants dans le courant du 12e s. On peut donc l'attribuer à la fin du 11e ou au début du 12e s.
La fouille limitée réalisée à l'intérieur de l'église Z, dans le croisillon sud du transept, a mis au jour des sépultures qui s'échelonnent du 14e à la fin du 18e s. Les registres paroissiaux indiquent que la dernière inhumation dans l'église a eu lieu le 26 mai 1775 (THOMAS 1992 : 45-46; THOMAS 1993).
Conclusion
L'architecture des lieux de culte successifs de Rigny peut être mise en relation avec l'évolution de leur statut. La première église, au 7e-8e s., était une chapelle construite au sein de la colonica Riniaco, centre d'exploitation d'un domaine rural appartenant au monastère Saint-Martin de Tours qui l'a cédé à l'abbaye de Cormery lors de sa fondation en 791 par Ithier, abbé de Saint-Martin. La construction de l'église Y, au chevet à plan tréflé, à la fin du 10e ou au début du 11e s., est donc intervenue sous l'égide de l'abbaye de Cormery. Elle est concomitante d'une réorganisation de l'espace funéraire autour de l'église qui a été interprétée comme un marqueur archéologique de la mise en place de l'organisation paroissiale, caractérisée par une interdépendance nouvelle de l'église et du cimetière. La construction de l'église Z, à la fin du 11e s. ou au début du 12e s., d'une ampleur sans commune mesure avec la taille des précédentes, traduit le développement du système paroissial parvenu à son apogée. Le renforcement de l'encadrement pastoral, la fréquentation accrue des églises pour assister aux offices, recevoir les sacrements et inhumer les morts dans le cimetière a donné une centralité nouvelle aux églises qui focalisent les pratiques cultuelles et sociales, déterminent des aires d'attraction et exercent des droits de nature sacramentelle ou fiscale dont la territorialisation s'est progressivement affirmée.
La reconstruction du chevet et du croisillon sud du transept au 14e s. et les fresques qui ont recouvert les murs du chevet, du transept et, au moins en partie, de la nef au 14e et au 15e s., témoignent de la prospérité du centre paroissial à la fin du Moyen Age. Signalons pour l'anecdote que le registre des offrandes et aumônes de Louis XI, qui n'est conservé que pour une seule année, du 1er octobre 1478 au 30 septembre 1479, indique au cours de cette période 18 offrandes à Notre-Dame de Rigny pour un total de 339 écus d'or. La construction au nord de l'église, vers le milieu du 15e s., d'un vaste presbytère, édifié sur le modèle des manoirs aristocratiques, est l'une des dernières manifestations ostentatoires de la fortune du centre paroissial, qui fut progressivement éclipsé par l'essor du village établi autour du château d'Ussé. En 1701, une assemblée de paroissiens demande le transfert du siège de la paroisse de Rigny à Ussé en arguant du délabrement de l'église, de la désertion du centre paroissial, et de l'impraticabilité des chemins qui y conduisent. Ils obtinrent gain de cause au bout d'un siècle et demi avec la construction d'une nouvelle église paroissiale à Ussé, consacrée en 1859 sous le vocable de Notre-Dame (ZADORA-RIO, THOMAS, JOUQUAND 1992 : 24-38).
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