Collégiales castrales et Sainte-Chapelle à vocation funéraire entre 1450 et 1560


Julien Noblet

Dans le domaine royal, entre 1450 et 1560, de grands personnages, face à la mort et en quête d'éternité, se détournent des lieux d'inhumation traditionnels, préférant fonder des églises collégiales à vocation funéraire. Ces initiatives témoignent de la réaction d'une partie de l'élite soucieuse de reposer dans un édifice dont la magnificence, tant dans le faste du service divin assuré par un collège nombreux aux multiples charges liturgiques, que dans la beauté de l'architecture accueillant les cérémonies, devait refléter le rang. Sainte-Chapelle pour les princes du sang et simple collégiale pour les nobles de moins haut lignage accueillent des chanoines voués à prier pour le repos éternel de leur fondateur mais aussi de sa famille (Noblet 2009).

En Touraine, cinq édifices - les collégiales de Luynes, des Roches-Tranchelion, de Montrésor et d'Ussé, ainsi que la Sainte-Chapelle de Champigny-sur-Veude - fondés respectivement par Hardouin IX de Maillé, Lancelot de la Touche, Imbert de Bastarnay, René d'Espinay, et Louis Ier de Bourbon, prince de La Roche-sur-Yon, témoignent d'une émulation certaine entre personnages gravitant dans l'entourage royal et soucieux de manifester par la pierre leur ascension sociale ou d'affirmer leur rang (document 1, document 2, document 3). Œuvres de longue haleine, nécessitant souvent le concours de plusieurs générations, ces fondations, qui s'échelonnent de 1484 à 1536, attestent également l'attractivité de la Touraine, où séjournait alors souvent la cour itinérante : pour les fondateurs, il est important de demeurer proche du roi, même après la mort.

Pour desservir le lieu de culte destiné à recevoir leur dépouille, les fondateurs, en se tournant exclusivement vers le clergé séculier, exercent leur contrôle grâce au recrutement puisqu'ils disposent du droit de présentation et de patronage des prébendes, soumis parfois à l'approbation de l'archevêque de Tours. Ce droit héréditaire se transmet à leurs successeurs. Ainsi, progressivement, en contrôlant la nomination des chanoines, en exigeant que ces derniers leur prêtent un serment de fidélité et en imposant leur présence lors des réunions du chapitre, ces grands personnages parviennent à exercer leur autorité sur les clercs en totale contradiction avec la réforme grégorienne, certains se reconstituant même un clergé privé.

Quant à l'église, qui doit accueillir les chanoines, mais aussi le seigneur, sa famille et ses proches, elle peut parfois, comme à Montrésor, servir également d'édifice paroissial. Aussi la singularité du plan de cette collégiale illustre-t-elle parfaitement cette volonté d'une part, de distinguer les espaces en fonction de leur affectation et d'autre part, d'instaurer une gradation à l'intérieur de l'édifice. Celle-ci est souvent renforcée par le mobilier, et notamment un jubé comme à Montrésor, Ussé ou Champigny-sur-Veude. Adoptant la forme d'une croix latine, ce plan de prime abord classique présente néanmoins une particularité : les bras formant le transept sont plus proches de la façade occidentale que de la partie orientale. Une telle disposition permet de ménager un chœur profond, attestant la prééminence du chapitre, bien séparé de la nef réservée aux fidèles. Lorsque l'église possède un double statut collégial et paroissial, l'adoption d'un plan en croix latine, avec transept ou faux-transept, permet de percevoir clairement la délimitation entre l'espace du seigneur et celui ouvert aux autres laïcs, comme aux Roches-Tranchelion. A Montrésor, les seigneurs disposent également d'un accès privilégié à leurs chapelles, flanquant le chœur : deux couloirs latéraux les relient au transept et permettent ainsi aux Bastarnay de rejoindre leurs oratoires sans perturber l'office tout en renforçant leur prééminence par rapport aux simples fidèles (document 1 et document 4). Une préoccupation identique de ne pas déranger les cérémonies se retrouve à Champigny-sur-Veude où des galeries latérales longent la nef et permettent un accès direct aux chapelles du fondateur au sud et de son épouse au nord (document 5). Enfin, le chœur était généralement destiné à recevoir les monuments funéraires des fondateurs, qui s'appropriaient le lieu le plus propitiatoire de l'édifice pour faire ensevelir leur dépouille. Dès lors, l'accumulation de tombeaux monumentaux est destinée à célébrer l'importance de la dynastie.

Dernière particularité, tous ces édifices funéraires sont situés à proximité immédiate du château du fondateur : cette implantation manifeste aux yeux de tous les liens de dépendance qui unissent les chanoines à leur bienfaiteur mais illustre également toute l'importance que ce dernier attache à la possession d'une seigneurie, garante de sa noblesse (document 6, document 7, document 8,document 9).

En définitive, les cinq collégiales tourangelles expriment la volonté des membres d'une élite de disposer d'un lieu de culte voué à pérenniser le souvenir de leur fortune terrestre, à accueillir leurs descendants et à assurer à leur famille les prières d'un collège de prêtres. Sanctuaires familiaux, comme l'atteste l'accumulation des tombes monumentales groupées dans le chœur, auxquelles s'ajoute un décor glorifiant le lignage, ces églises appartiennent à un type original d'église funéraire, lié au château et symbolisant le pouvoir d'une famille.

Voir aussi :
- Châteaux et enceintes urbaines à la fin du Moyen Age
- Les châteaux de la Renaissance
- Les fondations de paroisses à l'époque moderne

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