La récente datation de 1028 de l'église paroissiale Saint-Georges de Rochecorbon, par l'analyse dendrochronologique de sa charpente, a permis de confirmer l'ancienneté des élévations, particulièrement bien conservées sur la nef et le chœur, et de poser, ainsi, un jalon chronologique sur une forme originale d'architecture romane, spécifique aux petites églises paroissiales et pour laquelle il est encore difficile d'attribuer une datation fiable, faute de texte mais surtout en raison de la quasi-absence de sculpture ou d'éléments stylistiques datant pour ce type de construction.
Un inventaire a donc été entrepris en Indre-et-Loire et en bordure des départements limitrophes pour identifier des églises paroissiales, essentiellement en contexte rural, présentant les mêmes traits architecturaux (plan, appareillage, forme des baies, etc...). Cette prospection, toujours en cours de réalisation, a permis de recenser, sur plus de 200 églises visitées, près de 50 édifices présentant des élévations identiques à celles de Rochecorbon, conservées parfois à l'état fragmentaire, généralement sur la nef et, plus rarement, sur l'ensemble de l'édifice (carte 1). Ce corpus semble donc confirmer d'ores-et-déjà l'existence, sur l'ensemble du département, d'une génération d'églises rurales homogènes, répondant à une même pensée constructive et à un vocabulaire architectural commun.
Le plan de ces édifices est généralement simple, sans transept, avec un chœur à chevet plat dans la plupart des cas. La nef est souvent très large, dépassant quelque fois 10 m. Les murs sont parfois très hauts, atteignant 5 à 6 m pour une épaisseur relativement faible, entre 60 et 75 cm. Ils sont dépourvus de contrefort et ne comportent à leur sommet ni corniche ni modillon (doc. 1). Quelques rares édifices présentent toutefois des contreforts semi-circulaires, dont la fonction semble plus esthétique qu'architectonique, comme à Autrèche, Poncé-sur-le-Loir ou Saint-Ouen-les-Vignes.
Les toitures de la nef et du chœur sont en bâtière, indépendantes, avec des murs-pignons très saillants au-dessus de la couverture, et un rampant faiblement incliné, inférieur à 45°.
Les murs sont parementés en petit appareil régulier de moellons de tuffeau, plus rarement de grès et de silex selon la localisation géographique, taillés grossièrement en forme cubique, alignés en assises horizontales sur des lits épais de mortier (doc. 2). Exceptionnellement, l'appareillage est agrémenté d'assises de briques (Cinq-Mars-la-Pile, Averdon), d'un rang de tuiles gallo-romaines disposées en oblique (Thilouze) ou de lits alternés de grès inclinés et de tuffeau (Faverolles), offrant un jeu polychromique évident. Il apparaît que le petit appareil cubique alternant avec des rangs de briques ou de tuiles constitue le modèle le plus ancien (Mougon, Averdon, Souday (doc. 1)), lorsqu'il ne s'agit pas de réemploi de maçonneries antiques ou du haut Moyen Age.
Quand le revêtement extérieur d'origine est conservé, il apparaît sous la forme d'un enduit non recouvrant, à joint beurré, affleurant au parement et laissant apparent le centre des moellons, comme à Saint-Gervais-de-Vicq et Bournan (doc. 2). Sur les murs présentant des rangs de briques ou de tuiles, l'enduit est souvent incisé à la truelle pour dessiner des joints horizontaux et verticaux (Mougon, Souday), comme sur les enduits antiques observables en Touraine.
Les angles des murs sont chaînés de grandes pierres d'appareil irrégulières en calcaire aux joints très épais (par exemple doc. 1, La Pellerine). Les portes sont dépourvues de tympan, avec de simples piédroits, sans imposte ni sculpture, constitués aussi de grandes pierres en calcaire, irrégulières, aux joints épais, portant un arc en plein-cintre composé de claveaux fins presque rectangulaires (doc. 3). Quelques rares portes possèdent un arc en mitre surbaissé comme à Cravant-les-Côteaux et Bournan. A l'intérieur des édifices, les pierres des chaînages d'angle et des ouvertures ont des joints épais, de 2,5 à 3 cm d'épaisseur, rubanés, saillants avec des bords dressés à la truelle, et réalisés avec un mortier rouge.
Les fenêtres sont larges, ébrasées seulement vers l'intérieur, et présentent, comme les portes, des piédroits en pierres de taille irrégulière, aux joints épais, supportant un arc en plein cintre fait de claveaux fins (doc. 4). Leur appui, constitué par le nu du mur, est dépourvu de pierre d'appareil.
Les rares ornements sculptés apparaissent parfois sous la forme d'un cordon de billettes soulignant les pignons (doc. 1, Chanceaux-sur-Choisille) avec, plus rarement, des plaques décoratives timbrant les pignons comme à Rochecorbon, Chanceaux-sur-Choisille ou dans l'appareillage de la nef, disposées en frise comme à Saint-Germain-sur-Vienne (doc. 5). Ces plaques sculptées sont parfois des réemplois d'éléments carolingiens (Rochecorbon), ou antiques (Perrusson).
Les vaisseaux de ces petites églises étaient couverts d'une charpente plafonnée, de même sur le chœur à chevet plat comme à Saint-Georges de Rochecorbon qui n'a été voûté qu'au début du 12e siècle.
En dépit de leur pauvreté décorative, les églises paroissiales recensées dans cet inventaire répondent à un mode constructif d'une certaine cohérence, caractérisé par la muralité des élévations, hautes, lisses, dépouillées d'artifices et de sculptures, offrant aux volumes une unité d'ensemble, et par une mise en œuvre à moindre coût, avec des matériaux prélevés à proximité du chantier. Que ce soit par l'appareil, les joints, l'unité et la nudité des élévations, la forme des ouvertures, les toitures en bâtière ou encore par l'utilisation de remplois et de plaques sculptées, cette génération d'édifices utilise des techniques de construction et un vocabulaire architectural propres aux ouvrages d'époque carolingienne, marqués par une forte référence à la romanité. La pauvreté décorative de ces églises répond certes à leur statut paroissial et aux faibles moyens de mise en œuvre, mais elle correspond néanmoins à une stylistique qui se reconnaît sur de grands édifices préromans, laissant à penser que la plupart de ces églises paroissiales pourraient dater du 10e ou du début du 11e siècle.
Si ces spécificités stylistiques se retrouvent sur l'ensemble du territoire prospecté, définissant un groupe homogène d'églises paroissiales, il apparaît néanmoins qu'elles semblent avoir coexisté avec d'autres pratiques constructives, plus répandues sur de plus grands monuments, comme par exemple le moyen appareil, mais sous la forme de lits hétérogènes de grandes pierres calcaires irrégulières, à joints épais, comme à Verneuil-sur-Indre et Ciran. D'autres techniques s'observent aussi, mais de façon plus exceptionnelle, comme le percement de petites baies étroites (Neuillé-le-Lierre).
Il semble que cette génération d'églises paroissiales laisse place relativement vite, au cours de la seconde moitié du 11e siècle, à une autre catégorie d'édifices qui se parent plus généreusement du moyen appareil régulier, parfois décoratif, aux joints plus fins, de contreforts plats, de corniches, avec ou sans modillons, de claveaux trapézoïdaux plus ordonnés, de moulures et de chapiteaux sculptés, comme en témoignent, parmi les rares exemples datés par les textes, l'église Saint-Gilles de L'Île-Bouchard, fondée en 1067, et le chevet de Saint-Médard de Cinq-Mars-la-Pile, consacré en 1091.
Il convient toutefois de rester prudent quant à l'ancienneté de certains critères architecturaux en raison des archaïsmes que ces petites églises paroissiales peuvent véhiculer sur de longues périodes, contrairement aux édifices de statut plus élevé.
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