Crouzilles, "Mougon" : de l'agglomération antique au village médiéval


Anne Moreau

Mougon se situe sur la rive droite de la Vienne dans la commune de Crouzilles. Le hameau est implanté sur une basse terrasse de la rivière à la frontière du lit majeur du cours d'eau.

Le site est signalé dès le 19e siècle : les premières découvertes révèlent la présence d'une nécropole du haut Moyen Age (BOURASSE 1854) et de fours de potiers antiques (CHEVALIER 1871). Depuis, le bourg et ses abords immédiats ont fait l'objet de recherches multiples et variées. Le fait que l'extension du bourg actuel soit plus réduite que l'emprise du site antique a largement contribué à la multiplication des opérations et des données (carte 2). L'agglomération de Mougon est identifiée au vicus Mediconnum mentionné par Grégoire de Tours au 6e siècle.

Les recherches récentes ont révélé l'importance de l'agglomération secondaire gallo-romaine considérée désormais comme le plus grand centre de production potière du Haut Empire en Touraine (FERDIERE 2005). Implantée le long de deux axes de communication majeurs - la Vienne et la voie parallèle qui la longe en rive droite -, l'agglomération est spécialisée dans la fabrication de matériaux architecturaux et de contenants en céramique (dolia, amphores, cruches...) destinés à la commercialisation des productions locales, vin et autres denrées. Parallèlement à cette production, la fabrication de statuettes en terre blanche (déesse-Mère, Vénus, cheval) a été mise en évidence. La découverte de pesons et de fusaïoles indiquent par ailleurs une activité de tissage (FERDIERE 1999).

La production de l'officine débute dans le courant de la première moitié du 1er après J.-C. et ne perdure pas au-delà de la fin du 2e siècle ou au début du 3e siècle après J.-C. Les structures exhumées sont, pour l'essentiel, liées à l'activité artisanale : plus d'une quarantaine de fours de potiers ainsi qu'une multitude de structures diverses organisées selon un réseau de voies orthonormé ont été découverts (carte 1 et document 1). L'analyse morphologique du parcellaire suggère que la configuration du bourg moderne est issue en grande partie de la trame parcellaire antique (MOREAU, ZADORA-RIO 2008). Aussi considère-t-on que l'occupation antique se prolonge sous l'habitat actuel, ce que tendent à confirmer les recherches récentes (carte 4). La limite de l'agglomération est matérialisée à l'ouest par la présence d'incinérations et d'inhumations datées des 1er et 2e siècles après J.-C. (SCHWEITZ et al.1986 ; FERDIERE 1999). On estime à une trentaine d'hectares la superficie occupée par l'agglomération du Haut Empire (MOREAU, ZADORA-RIO 2008).

L'étude de la céramique collectée lors des prospections réalisées en 2003 a montré l'insertion de l'agglomération dans les réseaux d'échanges à longue distance (carte 5).

On sait peu de chose de l'occupation antérieure à l'officine de potiers : outre la présence de mobilier lithique et de céramique pré- et protohistorique à proximité immédiate de l'agglomération, un diagnostic récent réalisé au cœur de l'agglomération antique a mis au jour du mobilier néolithique susceptible de signaler une occupation in situ (SALE 2011).

Les éléments témoignant d'une occupation postérieure à l'abandon de l'activité artisanale sont également peu nombreux. Les prospections ont permis de relever la présence d'éléments caractéristiques des 4e-6e siècles qui témoignent d'une occupation dont il est difficile de préciser la nature et la localisation (FERDIERE 1999 : 143). L'église Saint-Pierre dont Grégoire de Tours attribue la construction à l'évêque Perpet (458/459-488/489) représente le seul témoignage de l'importance de la localité au 5e siècle (document 2). La présence d'une monnaie portant le nom « Medeconno » évoque par ailleurs le rôle économique de la localité aux 6e-7e siècles (LELONG 1999 ; ZADORA-RIO 2008).

L'occupation du haut Moyen Age apparaît essentiellement à travers la répartition des sarcophages localisés dans un rayon approximatif de 80 à 100 mètres autour de l'église (carte 3). Le diagnostic réalisé en 2011 a permis de reconnaître la limite est de la zone d'inhumations (SALE 2011). La densité des inhumations observées à l'intérieur de l'église et dans son environnement immédiat attestent l'utilisation continue de l'espace funéraire jusqu'en 1755, date à laquelle le cimetière est transféré à son emplacement actuel (KERSANTE 2006). L'habitat quant à lui reste méconnu : aucune structure domestique n'a été jusqu'à présent identifiée et seuls des indices recueillis en prospection dans la périphérie immédiate du village actuel témoignent de l'occupation des lieux aux 7e-8e siècles (FERDIERE 1999 ; MOREAU 2008).

La présence de l'église suggère l'importance religieuse de la localité qui a conservé un rôle central dans le système de peuplement du haut Moyen Age : à deux reprises au cours de la deuxième moitié du 10e siècle, Mougon apparaît dans les textes en tant que chef-lieu de viguerie. Cependant, à partir de la fin du siècle, l'ancien centre de pouvoir antique s'efface au profit de l'agglomération voisine de L'Ile-Bouchard établie autour du château (ZADORA-RIO 2008 ; MOREAU 2010 ; MOREAU, ZADORA-RIO 2012). Mougon demeure un centre paroissial puis un chef-lieu de commune autonome avant d'être rattaché à la commune de Crouzilles en 1833.

Voir aussi :
- Les ressorts administratifs du haut Moyen Age : conditae et vicariae (8e-10e s.)
- Les agglomérations secondaires gallo-romaines
- Vicus, castrum et villa au 6e s. d'après les sources textuelles
- Les cimetières paroissiaux médiévaux et modernes

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