L'enceinte de Marmoutier, qui subsiste presque intégralement, témoigne de l'importance du monastère, héritier d'un ermitage fondé sur la rive droite de la Loire par Martin, deuxième évêque de Tours (371-397). Le site choisi se trouve à quelques lieux en amont de la cité où l'évêque Lidoire avait édifié la première cathédrale au milieu du 4e siècle (PIETRI 1983, 1987) (carte 1).
Implanté entre le coteau de calcaire, haut d'une trentaine de mètres, et la Loire, le terrain est présenté par le biographe de Martin, Sulpice Sévère, comme un lieu reculé, voire sauvage, desservi par une seule voie étroite, une évocation littéraire à nuancer par les données archéologiques (Vita Sancti Martini, livre 10, 3-4). D'une part, il est très probable qu'un pont ait relié les deux rives, entre la cité et le vallon de Saint-Symphorien, un pont en bois en usage au moins entre le 4e et le 6e siècle (SEIGNE, NEURY 2007) ; d'autre part, l'occupation du site a commencé aux 1er-2e siècles, sous la forme d'un établissement dont la construction maçonnée était de qualité (peintures murales, sols en béton) mais dont la fonction reste indéterminée, en raison de la trop faible superficie observée (document 1). Si le caractère sauvage du lieu évoqué par Sulpice Sévère relève du topos littéraire, en revanche l'étroitesse de la voie peut renvoyer à une réalité topographique, si la voie suivait le pied du coteau, ou au moins à la perception d'un espace contraint entre le coteau et la Loire, une situation rarement attestée pour les villae du val de Loire. On doit supposer que cet établissement est entré d'une manière ou d'une autre dans le patrimoine de l'Eglise pour être utilisé par Martin et ses compagnons puis par leurs successeurs, la fouille ayant montré la permanence de l'occupation pendant l'Antiquité et le haut Moyen Age (LORANS 2012).
Bien que la majorité des bâtiments ait été détruite au début du 19e siècle, les sources iconographiques et les textes permettent de restituer l'organisation spatiale du monastère à la veille de la Révolution : cohabitent alors des édifices hérités du Moyen Age et des bâtiments érigés par la congrégation de Saint-Maur-des-Fossés qui restaura Marmoutier, sur le plan spirituel comme matériel, à partir de 1637 (document 2 et document 3). Nous avons affaire à un espace structuré de manière à préserver la vie religieuse tout en remplissant les missions d'accueil et d'assistance dévolues aux monastères. Dans une enceinte de 17 ha, englobant le plateau de Rougemont à partir du milieu du 14e siècle, différents ensembles peuvent être distingués (LORANS A PARAITRE ; carte 2) :
- à l'ouest, l'accès principal implanté sur une voie longeant le pied du coteau et l'hôtellerie des hôtes de marque, attestée dans les sources écrites à partir du 12e siècle mais d'une origine plus ancienne (document 4) ;
- creusés dans le coteau ou adossé à la falaise, des grottes ou des sanctuaires secondaires, tels que la chapelle Notre-Dame-des-Sept-Dormants, ou encore la tour des cloches, clocher séparé de l'église abbatiale romane puis gothique (document 5) ;
- au centre, l'église abbatiale et le cloître adjacent, étendu vers le sud au 17e siècle ;
- à l'est, l'infirmerie et l'église funéraire Saint-Benoît, autour de laquelle devait s'étendre le cimetière des moines ;
- au sud-ouest, à proximité d'un double portail érigé au début du 13e siècle, des bâtiments de service, écuries et grange ;
- sur le plateau de Rougemont, le logis abbatial établi à l'écart de la communauté au milieu du 14e siècle.
Trois églises abbatiales successives ont été identifiées à ce jour, soit dans l'ordre inversement chronologique (document 6) :
- l'édifice gothique, long de plus de 120 m en incluant le porche construit en fin de travaux, entre 1312 et 1352 (document 7), présentait un vaisseau central à trois niveaux d'élévation encadré de bas-côtés et de chapelles latérales. Le bras nord du transept, conservé, avait incorporé la grotte du Repos de saint Martin, précédée d'une chapelle attestée au 11e siècle (document 8) ;
- l'église romane, consacrée par le pape Urbain II en 1096, présentait un vaste plan à double transept et une crypte-halle qui se terminait en hémicycle (document 9). Elle connut deux états principaux mais seule la première façade est à ce jour localisée, correspondant à une nef longue de 23,60 m qui fut ultérieurement allongée jusqu'à atteindre au moins 39 m. On ignore tout de la disposition du chevet qui devait présenter des chapelles rayonnantes. Cette construction est dominée par l'emploi du moyen appareil ;
- les vestiges les plus anciens assurément identifiables à ceux d'un lieu de culte doivent correspondre à la restauration monastique de la seconde moitié du 10e siècle, mais sa datation précise reste à établir. Elle présentait une nef à trois vaisseaux longue de 18 m, divisée en quatre travées et fermée par un chevet à trois absides ; sa construction associait des pierres de taille pour les piliers à un petit appareil à joints épais pour les murs.
Il est possible qu'une partie des maçonneries d'origine antique repérées à la fouille aient été transformées en lieu de culte aux 8e-9e siècles, comme le suggère la présence de sépultures autour du bâtiment 8 (document 1).
D'autres lieux d'inhumation, extérieurs ou intérieurs, ont été identifiés à partir des sources écrites et/ou archéologiques, en particulier un vaste cimetière associé à l'église Saint-Nicolas, située à l'extérieur de l'enclos, en bord de Loire (carte 3). Ses dimensions comme sa consécration par le pape Urbain II ont conduit Elisabeth Zadora-Rio à y voir le modèle d'un type de cimetières habités fondés ex nihilo, pour rassembler vivants et morts, et attestés en petit nombre en Anjou dans la première moitié du 12e siècle (ZADORA-RIO 2000). Le fait que Saint-Nicolas n'ait jamais acquis le statut paroissial suggère l'échec d'un projet visant à créer un nouvel habitat sur la rive droite, à proximité des bourgs précédemment fondés par Marmoutier à Sainte-Radegonde et à Saint-Symphorien (ZADORA-RIO, GAUTHIEZ 2003 ; carte 1). Peut-être faut-il chercher l'explication de cet échec dans la proximité de la Loire, dont les crues portèrent atteinte à l'enceinte même après la construction de la levée. Toutefois, des découvertes de sépultures effectuées depuis le 19e siècle, à l'emplacement de l'ancienne grange (carte 3, n° 12) et près de la rue Saint-Martin et de l'ancienne église Saint-Nicolas (carte 3, n° 4) confirment la fonction funéraire de cet espace.
La terrasse et la chapelle Notre-Dame-des-Sept-Dormants présentent aussi des sépultures, de type rupestre, découvertes à partir du 17e siècle ce qui en rend l'interprétation difficile, aucun ossement ni objet n'ayant été conservé : elles peuvent appartenir au haut Moyen Age ou résulter du culte rendu au Sept-Dormants de Marmoutier à partir de la fin du 12e siècle.
Sur le flanc nord du bâtiment interprété comme l'hôtellerie, édifié en plusieurs phases à partir du 11e siècle, une trentaine d'inhumations réunissant adultes des deux sexes et immatures a été mise au jour ; malgré la superficie réduite du sondage, il est possible d'affirmer la présence d'un cimetière de laïcs utilisé au moins du 11e au-13e siècle et dont la fermeture peut résulter de la reconstruction de l'église abbatiale (document 10).
Les abbatiales romane et gothique ont connu un usage funéraire entre le 11e et le 18e siècle, sous la forme de coffrages en pierre, caveaux ou cercueils ayant reçu principalement des membres de la communauté monastique, même si quelques restes d'immatures ont été identifiés dans un ossuaire.
L'acquisition de Marmoutier en 1843 par les Dames du Sacré-Cœur de Jésus, pour y installer un collège de jeunes filles, préserva l'intégrité foncière du domaine aujourd'hui partagé entre deux établissements privés d'enseignement et la Ville de Tours. Depuis 2004, le Laboratoire Archéologie et Territoires (UMR 7324 CITERES - Université François-Rabelais de Tours - CNRS) y mène un programme de recherche pour étudier l'organisation spatiale du site dans la longue durée, les principales constructions médiévales ainsi que les interactions entre le monastère et son environnement proche, en premier lieu la Loire dont un paléochenal canalisé traversait l'enclos d'est en ouest, témoignant sans doute d'un ancien trait de rive (carte 2).
Sources : Sulpice Sévère, Vita S. Martini (BHL 5610), éd. J. Fontaine, SC, 133, Paris, 1967, tome 1, 10, 3-4, p. 274.
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