Esvres-sur-Indre, de la Protohistoire récente au début du Moyen Âge


Jean-Philippe Chimier, Jacques Dubois, Nicolas Fouillet, Thomas Pouyet

Le territoire d'Esvres-sur-Indre a livré de nombreux vestiges archéologiques (carte 1). Sur le site du bourg, on suppose l'existence d'une agglomération antique, sans doute d'origine gauloise. Cette hypothèse se fonde essentiellement sur deux éléments : la présence d'une ou plusieurs nécropoles utilisées de la fin du 2e siècle avant notre ère jusqu'au 2e siècle, et la mention du site comme vicus par Grégoire de Tours. Les informations issues des recherches les plus récentes permettent une première cartographie du site et de son territoire.

Historique des recherches

Les premières recherches sur Esvres remontent au début du 20e siècle, avec la découverte et la publication, en 1909, de la nécropole de La Haute Cour. De nombreux sites et indices de sites, notamment préhistoriques, ont été détectés lors de prospections pédestres et aériennes à partir de la fin des années 1960 (carte 1).

Depuis 1998, les interventions d'archéologie préventive se sont multipliées sur le territoire communal. Il s'agit des évaluations et des fouilles réalisées à l'occasion des aménagements en périphérie du bourg, avant la construction de l'autoroute A85, ou encore dans le cadre du développement de la zone industrielle de Saint-Malo... Le site bénéficie ainsi d'un suivi patrimonial et scientifique soutenu, accru depuis les modifications législatives de 2001. Ces opérations, qu'elles aient permis ou non de détecter des sites archéologiques, ont apporté de nombreuses informations sur l'occupation du territoire communal de la fin de la Protohistoire au début du Moyen Age (CHIMIER, DUBOIS, LEROY 2007 ; CHIMIER, RIQUIER 2009 ; CHIMIER, FOUILLET 2012).

En 2011, l'activité scientifique s'est structurée autour du projet Evena, qui constitue un des programmes de recherche de Laboratoire Archéologie et Territoire (LAT) de l'UMR 7324 Citeres (Université de Tours). L'objectif du programme est l'évaluation archéologique de l'agglomération et de son environnement rural dans la moyenne et la longue durée.

Le village d'Esvres : une agglomération d'origine protohistorique ?

Les nécropoles antiques de Vaugrignon et de La Haute Cour (carte 2, document 1 et document 2) ont des origines gauloises. Elles ont été utilisées depuis la deuxième moitié du 2e siècle av. J.-C. Elles pourraient appartenir à un même espace funéraire composé de plusieurs petits ensembles, correspondant à des groupes sociaux ou familiaux distincts (BOBEAU 1909 ; RIQUIER 2004 ; CHIMIER 2009 ; CHIMIER, RIQUIER 2009).

La nécropole de Vaugrignon (document 1) perdure jusqu'aux dernières décennies avant notre ère, alors que celle de La Haute-Cour (document 2) est toujours en activité au 2e siècle ap. J.-C. La diversité des sépultures et la durée de fréquentation de la nécropole suggèrent d'associer celle-ci à une agglomération plutôt qu'à un établissement rural. Une occupation domestique, actuellement reconnue sur plus de 2 ha, a été mise en évidence sur le rebord du plateau et sous l'actuel village d'Esvres, à travers les opérations d'archéologie préventive et les sondages programmés. Il s'agit d'un habitat vraisemblablement occupé du 1er au 2e s. ap. J.-C. (carte 3). Rien ne permet toutefois de le caractériser, et, à ce jour, une agglomération du Haut-Empire reste une hypothèse de travail (BOBEAU 1909 : 216, 218 ; RIQUIER 2004 ; CHIMIER 2009 ; DUBOIS, CHIMIER à paraître ; CHIMIER, FOUILLET 2012). Il pourrait s'agir d'un site routier localisé le long des routes bordant l'Indre et d'une éventuelle voie reliant Caesarodunum (Tours) à Augustoritum (Limoges) par Manthelan.

Le site est attesté comme vicus à la fin de l'Antiquité, puisqu'au 6e siècle, Grégoire de Tours indique qu'une église a été fondée à Esvres (Evena Vicus) sous l'épiscopat de saint Perpet (458/9 - 488/9). Aucune source archéologique ne vient compléter cette information. Toutefois, des monnaies mérovingiennes, triens comportant l'inscription Evira vico, sont frappées au nom du vicus d'Esvres durant les 6e et 7e siècles (Lorans 1996 ; Zadora-Rio 2008 ; Dubois, Chimier 2010).

Du 8e au 10e siècle Esvres est le chef-lieu d'une des 23 vigueries du Pagus Turonensis. Ce sont les textes qui apportent alors les principales informations. Les découvertes archéologiques attestent cependant une occupation dans le bourg : la présence de sarcophages et les bas reliefs en remploi dans le chevet de l'église concordent avec la mention d'un lieu de culte du haut Moyen Age à l'emplacement de l'édifice actuel (carte 4). L'étude documentaire a permis de restituer l'extension de la nécropole à sarcophages du centre-bourg qui occupe un espace d'au moins un demi-hectare. (BLANCHARD 2000 ; JACQUET 2004 ; ZADORA-RIO 2008 ; LAULIAC 2013).Outre le château et l'église aucun vestige ne se rapporte à l'occupation médiévale. Quelques observations de terrain confortent l'hypothèse d'une enceinte pour interpréter l'anomalie parcellaire qui marque la morphologie du bourg ancien, mais elle n'est ni datée ni caractérisée (CHIMIER, FOUILLET 2013).

Un territoire largement mis en valeur depuis la Protohistoire

La carte archéologique du territoire communal est bien renseignée à travers les diagnostics d'archéologie préventive, les prospections pédestres et l'étude documentaire. A l'issue des prospections de 2013, environ 150 ha ont été diagnostiqués et environ 220 hectares prospectés. Au total, 69 sites ou indices de sites archéologiques ont été enregistrés. Neuf occupations ont été reconnues par l'archéologie préventive et 60 concentrations de mobilier ont été mises en évidence à l'occasion des prospections (carte 1).

28 occupations se rapportent à la Protohistoire au sens large (carte 2). Deux groupes peuvent être distingués : le premier rassemble des sites et indices de site datés du 10e au 5e s. avant notre ère et le second ceux de La Tène finale (2e et 1er s. av. n. è.).

La documentation montre toutefois la densification de l'occupation rurale autour d'Esvres à partir de la période gauloise. Plusieurs sites de La Tène finale et du Haut-Empire (du 2e s. av. au 3e s. ap. J.-C.) ont été étudiés récemment, au Clos-Rougé (hameau de Vontes) (document 5) (CHIMIER, GEORGES 2007), au Bois de la Duporterie (document 4) (TREBUCHET 2007), aux Billettes (document 3) (FOUILLET 2007), à La Vallée de Beaulieu (COUDERC et al. 2009), à Vaugrignon-Varidaine (MUNOS et al. 2007) et à Sur Le Peu (FOUILLET et al. 2009). Ce dernier établissement pourrait correspondre à un hameau gaulois (2e et 1er s. av. notre ère) dont le statut n'est pas caractérisé. Le site a été abandonné puis réoccupé après les années 40 ap. J.-C. sous la forme d'un établissement agricole. Le Clos Rougé est une villa installée sur le rebord du plateau dans le courant du 1er s. de notre ère (document 5). Les opérations préventives montrent que les sites antiques ont tous une origine laténienne à l'exception du Clos Rougé qui semble fondé au 1er s. de n. è. Les sites de La Tène finale et de la période gallo-romaine correspondent tous à des établissements modestes (exploitations familiales ou petites entreprises agricoles). Pour l'Antiquité (carte 3) aucun site ne peut prétendre à l'appellation de villa, stricto sensu, à deux exceptions près : l'habitat laténien de Sur Le Peu - sud et l'établissement gallo-romain du Clos Rougé, dont la nature des vestiges et l'étendue suggèrent un statut particulier. Le faible nombre d'installations antiques sur le territoire est toutefois à souligner. Ce constat témoigne peut-être d'une mutation de la gestion de l'espace agricole qui reste à préciser. Après les 2e et 3e siècles, l'exploitation du territoire est certainement réorganisée (CHIMIER, FOUILLET 2012). Seul l'établissement rural de Sur Le Peu est occupé au Bas-Empire (jusqu'au 4e s.).

Le nombre de sites médiévaux est tout aussi réduit (carte 4). Il est possible que la forme de l'occupation du territoire durant le haut Moyen Âge suive les mêmes modalités que celle de l'Antiquité, mais il est envisageable également que l'habitat se soit fixé durant la période médiévale et qu'il soit recouvert par les établissements actuels et donc difficilement accessible aux observations archéologiques. C'est le cas au hameau de Vontes, sur le site du Clos Rougé (CHIMIER, GEORGES 2007) et sur le site de Malaguet (prospections pédestres). Au Clos Rougé des sépultures et des fosses témoignent de la réoccupation de la villa de Vontes durant le haut Moyen Âge (autour des 7e et 8e s.). L'abbaye de Cormery a reçu des biens à Forges (commune d'Esvres) dès sa fondation en 791. Avant 844, elle possède à Esvres des terres arables, des vignes, des prés et un moulin. La villa de Forges est mentionnée en 860, et celle de Vontes, où l'abbaye a fondé un prieuré et un bourg, en 1070 (Cartulaire de Cormery, n°1, 15, 23, 68 ; LORANS 1996).

L'impact de la forêt médiévale reste aussi à mesurer. Le plateau nord de l'Indre est en effet occupé par la forêt de Bréchenay (JACQUET 2003, 2005). Mentionnée par les textes du 12e au 17e s., elle pourrait avoir été mise en place durant le haut Moyen Age. Cette « reprise forestière » pourrait être en lien avec une restructuration plus générale du territoire et du réseau d'habitats (CHIMIER, FOUILLET 2012).

Voir aussi :
- L'habitat rural du Second âge du Fer (5e s.-1er s. av.notre ère)
- L'habitat rural à la période romaine
- L'habitat rural au Moyen Age
- Historique des recherches archéologiques

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