La chronologie de l'implantation des églises
Les premières églises rurales furent construites à la fin du 4e s., au cours de l'épiscopat de saint Martin, premier évêque de Tours, et le nombre des lieux de culte augmenta rapidement. Si on s'en tient à ceux qui sont attestés par les sources écrites, ils sont 45 vers 600, 62 vers 900, 301 vers 1200, 310 à la fin du Moyen Age (carte 1, carte 2, carte 3 et carte 4). Ces chiffres suggèrent une très forte augmentation du nombre des églises au Moyen Age central, mais divers arguments montrent que cette croissance spectaculaire est en partie illusoire et tient à un effet de source.
Si on compare, en effet, l'histogramme de la répartition chronologique des églises à celui des lieux mentionnés dans les sources écrites au cours de la même période (document 1) , on constate qu'ils présentent des profils très similaires, ce qui indique de toute évidence que le nombre d'églises mentionnées reflète avant tout les aléas de la production et de la conservation des documents, et non la réalité de l'équipement ecclésial.
L'abondance nouvelle de la documentation, notamment la multiplication des actes de la pratique aux 11e-12e s., n'est pas le seul facteur responsable de l'augmentation brutale des mentions d'églises à cette époque : leur accroissement traduit certainement aussi l'importance nouvelle prise à partir du milieu du 11e s. par les confirmations accordées par les papes, que les établissements religieux prennent l'habitude de solliciter de préférence aux rois. Alors que les souverains carolingiens, dans leurs diplômes de confirmation, énuméraient au premier chef les domaines ruraux (villae) et mentionnaient parfois les églises ou les chapelles qui en dépendaient, les papes confirment avant tout la possession des églises et mentionnent occasionnellement les villae dans leur dépendance. Ce tournant documentaire, lié à la montée en puissance du Saint-Siège à l'âge de la Réforme dite grégorienne, a certainement contribué à la surestimation du nombre de lieux de culte nouvellement construits aux 11e-12e s.
La contribution de l'archéologie est encore très limitée en raison du petit nombre d'églises rurales fouillées en Touraine, mais lorsque les données sont disponibles, elles confirment l'existence d'un décalage de plusieurs siècles entre la date de construction de l'église et celle de sa première mention : ainsi à Perrusson, où l'église, datée du 6e s. par l'archéologie, est mentionnée pour la première fois en 1180 (LELONG 1976), et à Rigny, où l'église, construite à la fin du 7e s. ou au début du 8e s., n'est pas mentionnée avant 1139 (ZADORA-RIO, GALINIE 2001).
L'étude des dédicaces d'églises et la constitution d'un référentiel de vocables considérés comme des marqueurs chronologiques fiables pour le diocèse de Tours ont conduit également à réévaluer la densité de l'équipement ecclésial du haut Moyen Age et à relativiser la croissance attribuée aux 11e-12e s. (ZADORA-RIO 2008 : 44-66). On oublie souvent que le fameux passage de Raoul Glaber, cité dans tous les manuels, sur « la blanche robe d'églises » qui a recouvert le monde au début du 11e s., se référait explicitement non à la fondation mais à la rénovation et à la reconstruction des lieux de culte.
La formation des territoires paroissiaux
La paroisse, telle qu'elle est définie par le droit canonique, c'est une église qui possède des fonts baptismaux et un cimetière accueillant l'ensemble des paroissiens défunts, et qui exerce le monopole des sacrements sur un territoire dont les habitants lui doivent la dîme. La mise en place des éléments de cette définition a été cependant très progressive : ni le cimetière, ni le territoire paroissial, ne remontent aux premiers siècles de la christianisation. Une étude récente a montré l'absence de toute référence explicite aux territoires paroissiaux dans les sources écrites du haut Moyen Age (LAUWERS 2005b). Contrairement à ce qu'on a longtemps pensé, leur formation ne résulte pas d'un démembrement en cascade du diocèse, mais d'un processus inverse, fondé sur une logique d'extension radiale du pôle ecclésial.
La constitution de territoires paroissiaux autour des églises traduit une évolution majeure des pratiques sociales et cultuelles et une transformation profonde des relations de la société chrétienne à l'espace qui interviennent entre le 9e et le 12e s.
Au cours de l'Antiquité tardive et du haut Moyen Age, la répartition des lieux de culte obéissait à des logiques diverses : à côté des fondations d'églises baptismales desservies par des collèges de prêtres, de nombreux édifices étaient construits pour commémorer des tombes saintes, dans les nécropoles antiques établies aux abords des cités, ou sur la tombe d'un saint ermite inhumé dans une campagne reculée. Ces lieux saints étaient visités certains jours et s'inscrivaient dans des circuits de pélerinages, mais ils ne jouaient guère de rôle dans l'encadrement pastoral et dans la vie quotidienne des fidèles. Même les églises construites dans les vici, qui avaient le droit de délivrer le baptême et de célébrer les grandes fêtes du calendrier liturgique, ne focalisaient pas la vie sociale des populations rurales. Le baptême était l'unique sacrement, et l'assistance aux offices n'était obligatoire que pour quelques grandes fêtes dans l'année. La distance ne jouait guère de rôle dans la répartition des lieux de culte, et ceux-ci formaient des nébuleuses ou des groupes ecclésiaux plutôt qu'un maillage régulier du territoire.
Le rôle de la distance est devenu plus contraignant au cours du Moyen Age, en raison de la nécessité de se rendre plus fréquemment à l'église. Le développement de l'encadrement pastoral, la généralisation du baptême des enfants à partir de l'époque carolingienne, l'obligation d'assister aux offices dominicaux, la pratique de l'inhumation dans le cimetière paroissial qui s'est imposée de façon progressive entre le 10e et le 12e s., ont certainement renforcé le rôle de la distance dans la régularisation de la répartition des églises. La mise en réseau des lieux de culte, sensible surtout à partir du 11e siècle, s'est accompagnée d'un processus de hiérarchisation qui a abouti à la disparition ou à la marginalisation d'un grand nombre d'églises, et à la réduction de groupes ecclésiaux à un lieu de culte unique.
Les prescriptions imposant le versement de la dîme aux lieux de culte ont également joué un rôle important. Devenue obligatoire et générale à partir de Pépin le Bref et Charlemagne, la dîme a entraîné la nécessité de définir les zones de prélèvement affectées à chaque église.
La constitution de ressorts fiscaux pour le prélèvement de la dîme s'est accompagnée de leur identification progressive avec le bassin d'attraction du cimetière. Le rôle des tombes dans la fixation du souvenir explique sans doute qu'elles aient rempli une fonction de légitimation. L'inhumation dans le cimetière d'une église représentait une preuve de l'appartenance à la paroisse du lieu où le défunt avait vécu, et constituait par conséquent un titre pour revendiquer l'ensemble des droits paroissiaux qui en provenaient. Avant l'établissement des registres paroissiaux au 16e s., elles constituaient le seul enregistrement de l'affiliation des paroissiens et remplissaient la fonction probatoire qui sera celle du rôle de l'imposition au moment de la création des communes.
Les limites territoriales ont été définies progressivement, à la fois par les pratiques sociales et cultuelles des populations locales et par la rencontre ou le conflit avec d'autres pôles en expansion.
Il faut certainement admettre, au cours du Moyen Age et même des Temps modernes, la coexistence de zones de chevauchements territoriaux et de fragments de limites précisément tracées. Ceux-ci résultaient de conflits locaux qui avaient obligé les parties à composer, mais seul le tronçon contesté était ainsi rigidifié, et son existence n'impliquait nullement que l'ensemble du territoire paroissial soit aussi précisément dessiné.
Les tracés sont parfois restés flous jusqu'à la Révolution : lors de la création des communes en 1790, il a fallu parfois de longues enquêtes nécessitant le recours au témoignage des anciens pour fixer les bornes, et certaines zones de communaux, comme les Landes de Saint-Martin, étaient encore extérieures au réseau paroissial à cette date. Le nombre de bornes nécessaires à la délimitation des communes permet d'évaluer le caractère plus ou moins défini des limites territoriales. Selon un état du 10/9/1805, si Pocé et Rivarennes n'avaient pas besoin de bornes, qu'il n'en fallait que deux à Notre-Dame d'Oé et trois pour Abilly, Montreuil et Saint-Ouen en nécessitaient quatorze, Charentilly dix-huit, Neuville vingt, Seuilly trente-huit et Villiers-au-Bouin trente-neuf. Il en a fallu quatre-vingt quatre pour les landes de Saint-Martin (GORRY 2008).
Voir aussi :