La viticulture médiévale et moderne


Samuel Leturcq

La viticulture est attestée en Touraine par des sources archéologiques durant la période romaine (FERDIERE 2014b). Lorsque Grégoire de Tours apporte dans son Histoire des Francs (livre VII, 22) la toute première attestation de vignes cultivées dans les environs de Tours (Nam dum essit in libertatem, equi ejus ac pecora per segites pauperum vineisque dimittebantur - « Pendant qu'il était en liberté, ses chevaux et ses troupeaux étaient lâchés à travers les moissons des pauvres et leurs vignes »), ainsi cela fait assurément plusieurs siècles que la viticulture est pratiquée en Touraine. Cette mention isolée et floue de viticulture n'est relayée par aucune autre attestation avant le 9e siècle. Notons toutefois que 114 pépins minéralisés de Vitis vinifera ont été découverts sur le site des « Grandes Maisons » à Truyes dans le comblement d'un silo et d'un trou de poteau ; ces vestiges sont datés des 5e-6e siècles (PRADAT 2005) (cf document 2).

Entre le 9e et le 12e siècle, 53 mentions localisables (carte 1) concernant des vignes ou des dîmes portant sur des vignes sont répertoriées dans des actes de donation, d'échange ou de vente issus de fonds ecclésiastiques, conservés soit dans leur forme originale, soit en copie dans des cartulaires ou des travaux d'érudits du 18e siècle (Dom Housseau). Il faut ajouter à ces indices textuels 5 fragments de pépins carbonisés de Vitis vinifera retrouvés dans le comblement d'un trou de poteau sur le site de Nétilly (Sorigny) (carte 3 et document 2) ; ces vestiges sont datés du 9e siècle (PRADAT 2002). Ces indices, compte tenu du caractère aléatoire de leur conservation et de leur transmission, semblent montrer une répartition assez uniforme de l'activité viticole sur l'ensemble de la Touraine. Des vignes sont attestées dans les vallées de la Loire, de l'Indre et de la Vienne, avec toutefois des lacunes importantes (très probablement liées à un effet de source) dans la vallée du Cher et dans la vallée de la Loire en amont de Tours. La vigne est aussi présente sur les plateaux. On ne repère aucune concentration particulière, hormis autour de Tours où se regroupent, aux 10e-11e siècles, de nombreuses mentions qui témoignent de l'existence d'une importante couronne viticole.

En tenant compte des problèmes de conservation et de transmission de ce type d'information, il semble que la viticulture soit, aux 9e-12e siècles, une activité omniprésente, sans être pour autant dominante ; il s'agit sans doute d'une petite viticulture dédiée à la consommation locale courante. Les vins de Touraine sont d'ailleurs ignorés des tables princières. La Bataille des vins d'Henri d' Andeli (13e siècle) affirme hautement la faiblesse des vins de Tours, installés dans le même mépris que ceux du Mans, de Rennes et d'Argences (Normandie) : « li vin commun, li vin moien ». En revanche, dans ce combat symbolique, le vin de Montrichard tire honorablement son épingle du jeu dans le groupe des vins berrichons (Lassay, Issoudun, Buzançais et Châteauroux). A ce titre, l'absence de toute mention des vignobles de Bourgueil dans l'ensemble de l'œuvre poétique de l'abbé Baudry de Bourgueil (1046-1130), qui cite pourtant le vin de Rebréchien près d'Orléans (poème XLII) et loue la beauté du paysage de Bourgueil (poème CLXXXVIII), est sans doute révélatrice d'une petite viticulture sans prétention ni prestige. Il faut attendre l'extrême fin de la période médiévale, et surtout la période moderne, pour que certains crus tourangeaux connaissent une réelle promotion, à l'instar des 100 muids (mesure de Paris) d'optimum vinum de Touraine envoyés par Louis XI à l'église de Cantorbery en 1477 (DION 1959, p. 225 et 277).

La Vie de Saint-Mexme, rédigée au 11e siècle, mentionne une exportation de vin de Chinon à Nantes (SALMON 1861, pp. 162 et 173). Pourtant, en dépit de cette mention isolée, la vocation commerciale de la viticulture tourangelle semble très tardive. En 1447, année de la reprise de la foire du Lendit au nord de Paris, on vend en abondance des vins d'Orléans et de Blois, des vins de Bourgogne, d'Auvergne et du Bourbonnais, du Nivernais..., mais aucun vin de Touraine (FOURQUIN 1964, p. 400). Si Rabelais chante volontiers les louanges des vins du Chinonais (Véron), cette réputation est récente. Ce n'est pas avant la fin du 15e siècle que les vins tourangeaux commencent réellement à s'exporter en quantité. Ainsi les vins de Touraine ne sont pas nommément attestés avant 1485 dans le port de Nantes, débouché pourtant naturel de la viticulture ligérienne ; à la même époque, le duc de Bretagne Jean V n'a dans sa cave que des vins nantais, des vins d'Anjou, du Poitou, de Saint-Pourçain, de Bourgogne et de Bordeaux, mais aucun vin de Touraine (LACHIVER 1988, p. 134). Dans les comptes de la ville de Tours des 14e-15e siècles sont mentionnés parfois les vins de Vouvray, et les crus de la vallée du Cher (Montrichard et Chissay) ; mais lorsqu'une origine géographique est précisée (rarement), ce sont très souvent des vins d'Orléans, de la Marche, de l'Anjou, du Bourbonnais (Saint-Pourçain et Souvigny) ou de Beaune qui sont offerts aux hôtes de qualité (CHEVALIER 1975, pp. 145-146 ; JOYEZ 2008, Annexes ; JOYEZ 2009, pp. 58-62). Dans le compte de la ville de Tours de 1411, le scribe précise que le vin d'Orléans est « comme le meilleur que l'on peut trouver en laditte ville ». Cette absence remarquable des vins de Touraine dans les circuits commerciaux de la viticulture médiévale s'explique sans doute par la qualité réputée médiocre de ces vins.

C'est dans le courant des 17e-18e siècles que la tendance se renverse franchement, alors que la viticulture orléanaise, blésoise et francilienne décline de manière irréversible (DION, 1959, pp. 559 et ss.). Le vin devient alors essentiel dans les exportations tourangelles, au demeurant fort modestes. Les vins blancs doux de Vouvray connaissent en particulier un fort développement sous l'impulsion de la demande hollandaise et flamande qui achète les récoltes pour les revendre dans le nord de l'Europe après « amélioration » par coupage (MAILLARD 1998, p. 200). La généralité de Tours (Touraine, Anjou, Maine) devient alors l'une des principales régions viticoles françaises, occupant la quatrième place pour l'exportation, et la deuxième pour la superficie plantée ; au sein de cette généralité, en 1788, 41% du vignoble se trouve en Touraine, concentré le long de la rive droite de la Loire, sur la rive gauche du Cher (de Villandry à Montrichard) et dans le Chinonais, au débouché de la Vienne sur la Loire (MAILLARD 1998, p. 201). Des confins de l'Anjou aux limites du Blésois, toutes les paroisses qui s'échelonnent sur les coteaux et les rebords de plateau de la Loire connaissent une viticulture dynamique, avec parfois des superficies plantées en vigne considérables : ainsi, à Fondettes, 48% de la superficie de la paroisse est plantée en vigne au 18e siècle ; à Vouvray 14,5% seulement, mais les paroisses de Rochecorbon et Saint-Georges, proches de Vouvray, ont le tiers de leur superficie encépagée (carte 2) . Sur le plateau proche des versants, la vigne occupe généralement 10 à 15% du sol. Les vins les plus réputés, qui font l'objet d'une exportation importante et régulière hors de la province, sont produits dans des paroisses proches de Tours, blancs à Vouvray, Rochecorbon et Saint-Georges, rouges à Joué, Ballan, Saint-Avertin et Saint-Martin-le-Beau. En dehors de ces zones exportatrices de vin et hormis les paroisses de Bréhémont (confluence de l'Indre), Berthenay et Saint-Genouph (confluence du Cher) où aucune vigne ne pousse, l'ensemble des paroisses de Touraine connaissent une petite viticulture dédiée à la consommation courante locale (MAILLARD 1998, pp. 202 et ss.).

La vocation commerciale de la viticulture tourangelle n'est pas évidente. Le marché des vins de Touraine n'est pas naturellement orienté vers Paris ; en 1702-1705, ils ne représentent que 0,5% des vins entrés dans Paris, contre 26,9% pour les vins du Blésois, et 30,3% pour les vins de l'Orléanais (MAILLARD 1992, pp. 714 et 749 ; 1998, p. 201). Maine et Normandie sont ravitaillés en vin préférentiellement par l'Anjou, par le cours de la Mayenne. Les exportations tourangelles se font naturellement vers le port de Nantes et le marché atlantique grâce à la Loire. Cette commercialisation est toutefois fortement freinée par la barrière douanière d'Ingrandes (péage sur la Loire aux confins de la Bretagne) qui, taxant les cargaisons de vin non pas ad valorem mais sur le poids ou le volume des vins transportés, enchérit de manière excessive les coûts de transport de ce produit pondéreux (DION 1959, pp. 449 et ss.). Aussi la croissance des superficies encépagées dans le courant du 18e siècle se heurte-t-elle à des problèmes de mévente, surtout dans les années de récoltes abondantes (1780 et 81, par exemple) et de médiocre qualité (1779, 1786 par exemple). L'expansion de la viticulture tourangelle est aussi volontairement freinée par les autorités qui souhaitent favoriser la céréaliculture ; en janvier 1725 la Touraine fait l'objet d'un arrêt du Conseil prohibant toute nouvelle plantation, tandis qu'un autre arrêt interdit la même année l'exportation des vins de Loire à destination des colonies. Ces prohibitions n'empêchent pas la croissance des surfaces plantées dans la région d'Amboise et dans le Lochois, de manière moins importante dans le Richelais. L'arrêt de 1731 est en réalité progressivement oublié, de sorte que les poursuites cessent complètement après 1759. L'exemption de traite pour les vins produits entre Orléans et Ingrandes et exportés aux colonies (arrêt du Conseil du 7 décembre 1785) libère la viticulture tourangelle de cette contrainte, sans toutefois la sortir de la crise dans laquelle elle est plongée. Ce sont donc des raisons essentiellement sociales et culturelles qui expliquent le développement de la viticulture en Touraine dans le courant du 18e siècle : les aléas de la production et les entraves à son exportation n'ont pas découragé propriétaires et viticulteurs qui sont malgré tout parvenus à tirer profit de cette activité (MAILLARD 1992, pp. 734-748).

La superficie viticole connaît une progression considérable dans le courant du 19e siècle (document 1) (CLOCET 2007). Entre 1808 et 1890, la superficie du vignoble de la Touraine augmente en moyenne de 54%. Si l'apparition de la pyrale en 1825 freine cette progression, le processus d'expansion repart dans les années 1840, sans que l'apparition de l'oïdium dans les années 1850 ne semble avoir de conséquences. Les années 1860-1880 apparaissent comme un « âge d'or » de la viticulture tourangelle, dont les productions bénéficient de l'essor de la consommation urbaine, particulièrement la région parisienne désormais débouché principal des vins tourangeaux grâce à l'apparition du chemin de fer.

Voir aussi :
- L'agriculture aujourd'hui. Les dominantes agricoles en Indre-et-Loire
- La carpologie
- La viticulture gallo-romaine
- La viticulture depuis la crise du phylloxéra à la fin du 19e s.

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