Rigny-Ussé: la fouille de l'ancien centre paroissial de Rigny et les transformations du cimetière (milieu 8e s.-1865)


Elisabeth Zadora-Rio, Henri Galinié

L'ancien centre paroissial de Rigny, situé au fond d'un vallon aux versants abrupts, drainé par un petit affluent de l'Indre, a perdu ses fonctions au milieu du 19e s. lors de la construction d'une nouvelle église paroissiale et d'un presbytère à Ussé, dans la vallée de la Loire, où l'habitat s'était regroupé à proximité du château.

La fouille programmée des abords de l'église, conduite par le Laboratoire Archéologie et Territoires entre 1986 et 1999 (document 1), a révélé une très longue durée d'occupation du site, depuis le 7e s. dans l'emprise de la fouille - et depuis le Haut Empire dans l'environnement proche - jusqu'au milieu du 19e s. Elle a livré plus de 1700 sépultures qui ont été réparties en 18 groupes chronologiques grâce au croisement de cinq paramètres :

1) la chronologie relative des inhumations ;

2) 64 datations par le radiocarbone ;

3) le mobilier funéraire déposé dans les tombes ;

4) enfin, la typo-chronologie des contenants : si la pratique de l'inhumation en pleine terre est attestée tout au long de l'utilisation du cimetière, certains types de tombes caractérisent des époques particulières (ZADORA-RIO, GALINIE 2001). Ces groupes chronologiques ont été répartis en quatre grandes périodes pour les besoins de l'étude anthropologique : haut Moyen Age (milieu 8e s.-fin 10e s.), Moyen Age (11e s.-15e s.), Temps modernes (16e s.-18e s.), et Epoque contemporaine (1800-1865) (THEUREAU 2006, THEUREAU 2007).

Les résultats de la fouille permettent de retracer la mise en place du cimetière paroissial et d'analyser, à travers les changements dans l'organisation spatiale des inhumations, l'évolution des relations des vivants avec leurs morts.

Le rapprochement des inhumations

Au cours de la première période d'occupation, aux 7e et 8e s., en dépit de l'existence d'un lieu de culte à Rigny, les habitants de la colonge (ZADORA-RIO, GALINIE 2013a) étaient inhumés ailleurs, sans doute dans une nécropole située à l'écart.

C'est à partir du milieu du 8e s. que les sépultures ont occupé progressivement les ruines des bâtiments et les espaces intermédiaires (carte 2). La zone d'inhumation, très peu dense, s'étend selon un axe nord-sud. Les sépultures ont des orientations variables et des espacements irréguliers, en dépit de la présence de quelques alignements. Leur disposition rappelle les petits ensembles funéraires mis au jour dans les habitats ruraux du haut Moyen Âge. Nous postulons que cette vocation funéraire est antérieure à la mise en place du cimetière paroissial. L'église, auprès de laquelle on inhumait pourtant, ne paraît pas constituer un pôle de concentration des sépultures.

Au cours de cette deuxième période d'occupation du site, la présence dans l'espace funéraire de structures domestiques, de tessons de céramique et de déchets de foyers atteste la présence d'un habitat à proximité de l'église.

Dans cette phase d'inhumation, les fosses de sépulture présentent parfois des aménagements spécifiques : un entourage incomplet de moellons disposés au fond de la fosse, peut-être destiné à caler les planches d'un coffre ou supporter un couvercle de bois (document 2), ou un calage de pierre destiné à protéger la tête (document 3). Elles sont dépourvues de tout mobilier funéraire, à une exception près : une sépulture de femme (S1614), âgée de 50 à 79 ans, inhumée à la fin du 9e s. sur une civière avec une fusaïole et trois monnaies de Louis le Pieux contenues dans une bourse.

Le recentrage de l'occupation funéraire autour de l'église (Période 3, 950/1000-1100)

L'église Y a remplacé l'église X à la fin du 10e ou au début du 11e s. (ZADORA-RIO, GALINIE 2014c). Sa construction coïncide avec une première réduction de la zone d'inhumation, qui correspond à une réorganisation de l'espace funéraire autour de l'église. Ce mouvement de recentrage, qui se poursuit dans les phases suivantes, a sans doute été un processus continu qui est marqué, à partir de la fin du 10e s. par l'abandon de l'espace funéraire situé tout au nord (zone 8) et l'implantation de sépultures à proximité de l'église sur l'emplacement d'un paléochenal délibérément comblé (zone 3).

Cette évolution ne résulte pas d'une pression extérieure puisque l'espace libéré par le rétrécissement de l'aire funéraire n'a été occupé par des bâtiments que deux siècles plus tard. Il n'est pas dû non plus à une diminution de la population inhumée, puisque la réduction de la zone d'inhumation est allée de pair avec un accroissement de la densité des sépultures. Nous proposons de voir dans cette réorganisation de l'espace funéraire une étape décisive de la mise en place de l'organisation paroissiale, marquée par une interdépendance nouvelle de l'église et du cimetière (ZADORA-RIO, GALINIE 2001 : 225,239).

La délimitation du cimetière et la cohabitation des vivants et des morts (Période 4, 1100-1450)

A la fin du 11e ou au début du 12e s., l'église Y a été remplacée par l'église Z, monument dont la taille est sans commune mesure avec celle des édifices précédents.

Au début du 12e s., un nouveau repli des sépultures vers le sud (abandon de la zone 7) est accompagné de la construction d'un mur de clôture qui matérialise la limite du cimetière. Sa mise en place a marqué une transformation de la topographie du centre paroissial avec la construction, sur la partie désaffectée du cimetière, au nord de l'église, de bâtiments de pierre, plusieurs fois reconstruits entre le 12e et le milieu du 15e s. (carte 3 et carte 4). Elle ne marque pas la fin des activités profanes dans le cimetière dont témoigne la découverte de quantités importantes de tessons de céramique. Un bâtiment, au début du 12e s., est construit à cheval sur la clôture du cimetière, et un autre édifice a été bâti au milieu du 13e s. à l'intérieur de la zone d'inhumation.

Cette phase d'inhumation est caractérisée par l'apparition des coffrages en pierre d'appareil et le dépôt de vases funéraires dans les tombes. A Rigny, les coffrages en pierre d'appareil (document 4) apparaissent après la construction de l'église Z, sans doute vers la fin du 11e s., mais avant celle des arcs-boutants au 12e s., et ils restent en usage jusqu'au 15e s. Ce type de contenant est cependant minoritaire (moins d'un dixième des sépultures fouillées pour cette période) et la majorité des inhumations sont effectuées en pleine terre ou en cercueils chevillés. Les vases funéraires, dont le nombre varie de 1 à 5, sont restés en usage à Rigny jusqu'au 16e s., mais la majorité d'entre eux sont datés entre le 11e -12e et le 14e-15e s. Ils sont associés à des inhumations en coffrage de pierre d'appareil, en pleine terre ou en cercueil.

Les presbytères successifs et la spécialisation de l'espace funéraire (Période 5, 1450-1865) :

La séparation des vivants et des morts

Vers le milieu du 15e s., les maisons groupées au nord de la clôture du cimetière, qui représentaient deux, peut-être trois unités d'habitation, sont remplacées par un vaste presbytère et ses dépendances (carte 4). Le bâtiment principal, qui mesure 13 x 8 m, possédait un étage desservi par un escalier à vis situé dans une tourelle polygonale accolée au milieu de la façade sud, sur le modèle des manoirs aristocratiques de la même époque.

L'édification du presbytère et la mise en place d'une nouvelle clôture, qui fait reculer de quelques mètres la limite du cimetière, marquent un changement important de l'usage de la zone d'inhumation. Celle-ci devient un espace strictement réservé aux morts, d'où toute activité domestique est exclue, et le cimetière moderne et contemporain n'a guère livré de tessons de céramique postérieurs à la fin du Moyen Age.

Cette phase d'inhumation est marquée par l'usage des clous forgés dans la fabrication des cercueils (document 5)et celui des épingles pour fermer les linceuls, ainsi que par la présence dans certaines sépultures d'objets personnels portés par les défunts (bagues et anneaux en alliage de cuivre, en argent ou en or).

Le processus de rétrécissement de l'espace funéraire s'est poursuivi à l'intérieur de ces nouvelles limites. Dans le courant du 17e s., le chemin qui traversait le cimetière est progressivement devenu une limite de fait de la zone d'inhumation vers l'ouest (carte 3).

Le confinement et l'exclusion des morts

Le presbytère, qui a subi d'importants travaux de réfection vers le milieu du 17e s. (destruction de la tourelle et transfert de l'escalier à l'intérieur du bâtiment), est resté en usage jusqu'en 1822, date de la construction d'un nouveau presbytère sur l'emplacement d'une ancienne grange, au nord du précédent (carte 4). Le premier presbytère, sommairement reconstruit, est devenu un bâtiment annexe du second, jusqu'au transfert du centre paroissial à Ussé en 1859.

Les dernières étapes de la réduction du cimetière de Rigny, dans la seconde moitié du 18e s., ont été matérialisées par la construction de nouveaux murs de clôture, qui délimitent le Grand cimetière au sud de l'église, et le Petit cimetière réservé aux enfants à l'ouest, devant le porche de l'église (carte 3). Ce dernier fut supprimé avant 1826 et à partir de cette date enfants et adultes furent inhumés dans le Grand cimetière enclos, que l'on n'a plus à traverser pour pénétrer dans l'église. Il resta en usage jusqu'à la création en 1865 d'un nouveau cimetière dans la vallée de l'Indre et de la Loire, localisé en plein champ comme l'était très probablement le lieu d'inhumation inconnu antérieur au milieu du 8e s.

Les pratiques funéraires apparues au cours de la phase précédente, comme l'usage des cercueils à clous forgés et des épingles de linceul perdurent après la construction des clôtures du Grand et du Petit cimetière, et les objets de parure portés par les défunts se diversifient.

La dernière phase d'inhumation dans le Grand cimetière enclos, entre 1820 et 1865, est marquée par l'utilisation de clous tréfilés dans la fabrication des cercueils et par la présence dans les sépultures de nombreux objets de piété (chapelets, croix, médailles) et d'accessoires de vêtement (boutons de chemise, agrafes, crochets, plaque de shako d'un couvre-chef de l'armée napoléonienne...).

Conclusion

Les transformations de l'organisation spatiale du cimetière de Rigny et les fluctuations de son emprise pendant un millénaire révèlent des changements majeurs dans les pratiques religieuses et sociales.

Les premières sépultures ont occupé un terrain vague encombré de ruines à proximité de l'habitat, mais l'église n'a pas joué un rôle moteur dans leur implantation. Ce lent rapprochement des morts et des vivants, qui marque une rupture avec l'Antiquité païenne, peut être imputé à la christianisation, bien qu'il soit antérieur à la polarisation de l'espace funéraire par l'église. L'attraction que celle-ci exerce à partir de la fin du 10e ou du début du 11e s. peut être mise en relation avec l'établissement de l'organisation paroissiale : elle accompagne la constitution du cimetière chrétien conçu comme lieu d'inhumation communautaire au milieu des vivants.

Contrairement à une idée longtemps admise, le cimetière ne s'est pas développé de manière concentrique autour de l'église : l'espace funéraire a subi au contraire un processus de rétraction continu dont la fouille a mis en évidence les étapes successives entre le 10e s. et le 19e s.

La réduction progressive de l'espace funéraire, l'expulsion des structures domestiques et la spécialisation de la zone d'inhumation, puis la mise à l'écart et l'enfermement des tombes, révèlent des transformations profondes des relations des vivants à leurs morts. Contrairement à une hypothèse fréquemment avancée, ces variations de la superficie du cimetière sont tout à fait indépendantes des fluctuations démographiques : chacune des réductions de l'espace funéraire a été accompagnée d'une augmentation de la densité d'inhumation et d'une accélération de la rotation des sépultures.

Voir aussi :
- Rigny-Ussé : la colonge de Rigny, centre d'exploitation d'un domaine rural de Saint-Martin de Tours aux 7e-8e siècles
- L'habitat rural au Moyen Age
- Les cimetières paroissiaux médiévaux et modernes
- La mise en place des églises rurales et la formation du réseau paroissial
- Rigny-Ussé : les trois églises successives de Rigny (7e /8e s.-1859)
- Saint-Patrice au Moyen Age : l'ancienne église paroissiale et le cimetière habité

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