L'habitat rural au Moyen Age


Anne Nissen

avec la collaboration de Sébastien Jesset et Stéphane Joly

Dans des sociétés profondément rurales, la notion d'habitat rural, couvre forcément un grand éventail de sites. Elle peut aussi bien désigner la ferme isolée que le village ainsi que des châteaux et des fondations religieuses dès lorsqu'ils sont sortis de la sphère urbaine. Implicitement, l'habitat rural désigne toutefois les sites qui sont entièrement ou essentiellement voués aux activités agro-pastorales. La limite est cependant difficile à tracer notamment dans le cas des petits sites élitaires ruraux comme Nétilly à Sorigny (7e-8e siècles) ou le Petit Mareuil à Joué-les-Tours (13e-14e siècles). De même, le village, généralement considéré comme pièce maîtresse de la ruralité médiévale doit avant tout son identité à ses fonctions religieuses et sociales, à travers l'église paroissiale et le château seigneurial. Afin de rendre justice à cette diversité, il faut nécessairement garder une grande souplesse dans la définition de l'objet d'étude d'autant plus que les données sont souvent ambiguës et incomplètes.

De nombreuses études ont porté sur l'habitat rural en Touraine, mais leur orientation et leurs apports ont évolué fortement durant ces dernières décennies. Depuis le milieu des années 1980, les enquêtes territoriales soutenues par des prospections pédestres ont éclairé les rythmes de l'occupation du sol notamment à Courçay, Rigny, Neuvy-le-Roi, autour de l'Île-Bouchard, dans la Vallée de la Choisille et dernièrement à Esvres. Démarrées en 1986, les fouilles du centre paroissial à Rigny ont nourri des problématiques sur la place des pôles religieux dans la mise en place du maillage territorial (Zadora-Rio 2008). En parallèle, d'autres études portant sur des plans cadastraux ont analysé la morphogenèse des villages et des bourgs médiévaux (Lorans 1995; Zadora-Rio 1996; Gauthiez, Zadora-Rio, Galinié 2003 ; Zadora-Rio 2003). Les relations entre les données archéologiques et textuelles ont constitué un volet important dans ces recherches. En revanche, il a fallu attendre la construction des tracés linéaires et le développement intense des zones périurbaines pour connaître les composants et l'organisation interne des habitats ruraux du haut Moyen Âge dans les cadres de l'archéologie préventive. Depuis 2007, le PCR Habitat rural du Moyen Âge en Région Centre a permis de réunir un corpus des principales fouilles de la région (Jesset & Nissen Jaubert 2007 ; Jesset & Nissen Jaubert 2008 ; Nissen Jaubert 2009 ; Jesset & Nissen Jaubert 2011 ; Jesset et al. 2012 ; Jesset, Josset, Nissen Jaubert 2013). La Touraine y est représentée par 24 notices dont 15 relèvent de la fouille et 9 de diagnostics (carte 1). La plupart des sites ont bénéficié d'études spécialisées, en premier lieu dans le domaine de la céramique, mais aussi dans celui des analyses paléoenvironnementales et de l'anthropologie physique. En Touraine, les datations céramiques sont suffisamment solides pour que la datation des sites puisse être formulée en siècles sans passer par des désignations chronologiques plus vagues comme le premier et le second haut Moyen Âge (ou, moins approprié, mérovingien et carolingien)(document 1 et document 2).

Chacune de ces approches apporte des éclairages différents sur les habitats et leur place dans les territoires ruraux ; elles sont souvent complémentaires mais parfois elles se contredisent. C'est notamment le cas dans la Vallée de la Choisille qui a fait l'objet d'analyses sédimentaires et palynologiques, de prospections pédestres ainsi que de fouilles préventives à Chanceaux, ZAC la Grande Pièce et à Baigneux (Cérelles). L'évolution végétale et les dynamiques sédimentaires révèlent ainsi une pression anthropique forte dans le haut Moyen Âge, alors que les prospections pédestres n'ont pas réussi à mettre en évidence des occupations de cette période (Poirier et al. 2013). Pourtant, les fouilles réalisées à Cérelles et à Chanceaux, ZAC de la Grande Pièce ont clairement démontré l'existence d'établissements des 5e-10e siècles (Jesset 2008).

La répartition des habitats ruraux connus reflète en premier lieu les tracés linéaires et les principales zones d'activités. Le développement de la communauté urbaine de Tours a permis d'étudier un bon nombre de sites dans la Champeigne tourangelle, la Vallée de la Choisille, et la Gâtine tourangelle. Les sites du haut Moyen Âge sont le plus fortement représentés, mais comme dans les Pays de Loire et dans plusieurs autres régions, des occupations plus récentes sont signalées dans plusieurs localités (carte 2).

Le contexte des études joue fortement sur la représentativité des données recueillies. Aussi bien les prospections que les opérations archéologiques étudient les sites en dehors des agglomérations actuelles. Dans les centres paroissiaux, l'église constitue typiquement le vestige archéologique le plus ancien, mais il faut fouiller le cœur des villages pour remonter dans le temps (ou non). Les fouilles du centre paroissial à Rigny constituent une exception notable, mais les inhumations durant presque un millénaire ont fortement perturbé les premières occupations. L'importance du pôle religieux est aussi suggérée dans le cas du site de Chanceaux-sur-Choisille, ZAC la Grande Pièce, situé au sud de l'église Saint-Martin (Document 3). Les phases d'occupation du haut Moyen Âge sont justement concentrées dans la partie nord de la fouille et se rapprochent progressivement de l'église pour finalement disparaître de l'emprise de la fouille aux 10e-11e siècles. Les traces d'occupation de la fin du premier millénaire observées à la périphérie du village de Verneuil-le-Château offrent un exemple complémentaire de cette évolution. A Ingré ZAC-le-Bourg et à Chécy dans le Loiret ainsi qu'à Villiers-le-Bel et à Tremblay en Île-de-France, les fouilles au cœur ou en marge des villages suggèrent qu'ils se sont progressivement ancrés sur leur emplacement actuel durant les derniers siècles du haut Moyen Âge.

Plusieurs fouilles ont révélé des vestiges antiques : à Ballan-Miré et à Monts les occupations médiévales sont implantées près d'une villa. À Truyes, une occupation dense des 5e-7e siècles évolue autour d'un possible bâtiment antique. Dans d'autres cas c'est du mobilier résiduel des premiers siècles de notre ère qui suggère la présence d'un site antique. Les relations entre les différentes phases chronologiques ne sont pas aisées à définir. Les lacunes chronologiques sont trop importantes à Ballan-Miré et à Monts pour laisser penser que ces établissements ont perduré au cours de l'époque médiévale. La transition entre l'Antiquité et le haut Moyen Âge reste difficile à appréhender, notamment en raison de la difficulté à identifier des occupations du 4e s. Les occupations des 5e-6e siècles sont en revanche bien représentées aussi bien dans les fouilles préventives que dans les enquêtes territoriales. À Courçay, les sites du haut Moyen Âge datent ainsi des 5e-7e siècles, et cette époque est également fortement représentée à Neuvy-le-Roi, où les sites de cette période s'avèrent d'ailleurs plus durables que ceux des 9e-10e siècles. Les 7e-10e siècles sont les mieux représentés dans les fouilles avec un petit pic pour les 8e-9e siècles. Cette répartition chronologique correspond globalement avec celle observée dans le Nord de la France et les Pays de Loire (Nissen Jaubert 2012; Catteddu & Nissen Jaubert 2011; Catteddu 2007), mais elle contraste avec celle observée dans le Sud de la France où cette période est faiblement représentée (Schneider 2007). Comme dans les Pays de Loire, des sites des 10e-11e siècles, ont été identifiés.

À l'échelle des habitats, la plupart des occupations (dans 13 cas) durent deux ou trois siècles, mais les fouilles qui ont révélé une durée de quatre siècles ou plus sont presque aussi nombreuses. Cette apparente stabilité ne traduit toutefois pas un ancrage topographique : à y regarder de plus près, les occupations les plus longues révèlent de légers déplacements de l'habitat comme aux Cochardières à Fondettes. Les sites évoluent constamment, leur organisation spatiale change à travers le temps et certaines phases se distinguent souvent par une occupation particulièrement dense. Cela conduit à réfléchir à la fois sur la signification précise des datations, fondées sur la céramique avec des marges chronologiques qui sont souvent de l'ordre d'un à deux siècles, et sur l'emprise des fouilles, qui ne couvrent pour ainsi dire jamais la totalité des habitats. Cette mobilité, caractéristique des sites du haut Moyen Âge, a été longtemps considérée à tort comme un signe de faiblesse dans les recherches anciennes. En réalité, cette mobilité témoigne d'une interaction constante entre l'habitat et son environnement. Ce n'est pas un hasard si l'ancrage topographique a été plus précoce et plus fort dans le centre paroissial de Rigny dont le développement ne dépendait pas uniquement des activités agro-pastorales. La première occupation, datée du 7e s. y est représentée par un bâtiment en dur spacieux, qui ne trouve pas d'équivalent dans les autres habitats connus, suggérant un statut particulier du site confirmé par la mention colonica Riniaco à la fin du 7e s.

Les bâtiments à poteaux plantés identifiés dans les habitats ruraux présentent des dimensions relativement modestes. Leur fonction est rarement identifiable, mais à Foujouin (Vernou-sur-Brenne), les concentrations de battitures dans un bâtiment indiquent la présence d'une forge. Les cabanes excavées font figure d'exception avec seulement un ou deux exemples signalés à Bussière, (Athée-sur-Cher), aux Hautes Varennes (Monts) et à la ZAC La Grande Pièce (Chanceaux-sur-Choisille). Les modes de construction se rapprochent ainsi davantage des Pays de la Loire que de la Beauce, où ces structures sont nettement plus fréquentes. La présence de silos et de fours domestiques est attestée dans de nombreux sites. Des galeries souterraines ont été observées sur les sites de Villiers-au-Bouin « Pont de Launay » et à Maillé « Villiers-la-Roche » ; elles sont datées respectivement des 10e-11e et des 13e-14e siècles.

À partir du 7e s., les inhumations deviennent fréquentes dans les habitats. Le plus souvent elles forment de petits ensembles d'une dizaine d'individus (Gaultier 2010). Les sépultures et les ensembles funéraires longent les chemins ou les limites de parcelles aux Cochardières (Fondettes), à Foujouin (Vernou-sur-Brenne) et dans la dernière phase d'occupation à La Vermicellerie (Fondettes) (document 4 et document 5).

Le tissu spatial des sites ruraux paraît souvent lâche comme aux Grandes Maisons (Truyes), mais plusieurs d'entre eux sont néanmoins organisés autour d'éléments structurants. Dans plusieurs cas, des chemins constituent l'ossature de l'habitat. À Foujouin (Vernou-sur-Brenne), ZAC la Grande Pièce (Chanceaux-sur-Choisille) et La Marmaudière, les exploitations et leurs enclos éventuels sont alignés sur un chemin (document 3 et document 4). La situation est un peu différente à La Vermicellerie, où un chemin semble suivre le contour d'une grande parcelle des 5e-6e siècles (document 5)(Gaultier 2012). Parfois, un maillage régulier de fossés structure l'habitat comme à La Marmaudière (Neuvy-le-Roi), La Vermicellerie (Fondettes) et Foujouin (Vernou-sur-Brenne). L'agencement régulier des unités d'exploitation s'observe surtout dans les derniers siècles du haut Moyen Âge. La subdivision de la grande parcelle à La Vermicellerie aux 6e-7e siècles est particulièrement intéressante à cet égard. Chacun de ces sites regroupe au moins une demi-dizaine d'exploitations. Bien que d'autres puissent être situées en dehors de l'emprise des fouilles, il est peu probable que leur nombre dépasse la dizaine. L'organisation spatiale des habitats ne se limite pas aux chemins et aux limites de parcelles. Les concentrations de silos et de fours forment ainsi des aires spécialisées dans le cas de Foujouin (Vernou-sur-Brenne) ou dans celui des fours des 6e-7e siècles de La Vermicellerie (Fondettes). Une quinzaine de silos au Prézoult (Parçay-sur-Vienne) pourraient également représenter l'aire spécialisée d'un habitat non identifié. Comme dans d'autres régions, ces aires spécialisées sont une caractéristique des derniers siècles du haut Moyen Âge.

Les sites revêtent une grande diversité fonctionnelle et sociale. Des traces d'activités artisanales ont été observées à plusieurs reprises. À Foujouin (Vernou-sur-Brenne), des concentrations de scories et des battitures près d'un bâtiment révèlent la présence d'une forge dans l'une des exploitations. Aux Cochardières (Fondettes), des scories témoignent également d'activités métallurgiques. Quelques sites se distinguent par la nature de leurs bâtiments comme à Rigny, ou par des aménagements particuliers comme à Nétilly (Sorigny) (8e-9e s.), où l'établissement est entouré d'un enclos monumental, ou comme Le Petit Mareuil à Joué-les-Tours (13e-14e s.), qui est ceint d'un fossé. Nétilly se distingue nettement des autres sites ruraux par ses bâtiments spacieux et un solide enclos quadrangulaire. L'utilisation de bois de grandes dimensions et l'étonnante régularité du site expriment une volonté de maîtriser l'espace. En dépit de la relative pauvreté des données mobilières, ce programme architectural indique un statut particulier. Par ailleurs, les études sédimentaires et carpologiques effectuées à Nétilly y témoignent d'une adaptation optimale des activités agro-pastorales aux qualités des sols. A Verneuil-le-Château, la consommation d'animaux jeunes et de gibier (sanglier) témoigne d'un mode de vie élitaire. Dans d'autres cas, c'est la proximité de la ville qui influence la nature de l'habitat. Les fouilles de la rue Dabilly à Tours ont révélé les restes d'un site périurbain. L'occupation est matérialisée par des fossés parcellaires, alignés sur l'ancienne voie antique, ainsi que par des silos et des fosses. Leur densité est plus importante que dans les habitats ruraux ordinaires. L'alimentation carnée ainsi que les proportions élevées de céramique témoignent également de conditions de vie plus proches des milieux urbains que ruraux.

Les fouilles récentes ont permis de mieux connaître les cadres de vie des populations rurales tourangelles. Comme ailleurs en Région Centre, l'organisation des habitats ruraux évolue profondément durant les 6e-7e siècles. Parcelles et aires spécialisées témoignent d'une organisation croissante des espaces communs et des limites d'exploitation. En parallèle, les inhumations au sein des habitats traduisent un changement dans les mentalités. On retrouve ainsi les mêmes tendances chronologiques que dans le Nord de la France. En même temps, les modes de construction et l'aspect général de nombreux sites évoquent ceux des Pays de Loire, qui suivent une évolution chronologique comparable, mais qui, dans leur configuration, se démarquent des sites étudiés dans le Nord de la Région Centre qui rappellent davantage la situation observée en Île-de-France.

Voir aussi :
- Neuvy le Roi : les prospections archéologiques
- Sorigny, "Nétilly" : un habitat rural du haut Moyen Age (8e-9e siècles)
- Courçay : la villa carolingienne d'après les sources écrites et les prospections
- Esvres-sur-Indre, de la Protohistoire récente au début du Moyen Âge
- Historique des recherches archéologiques
- Rigny-Ussé : les trois églises successives de Rigny (7e /8e s.-1859)
- Rigny-Ussé: la fouille de l'ancien centre paroissial de Rigny et les transformations du cimetière (milieu 8e s.-1865)
- Truyes, "Les Grandes Maisons" : l'établissement du haut Moyen Age
- Athée-sur-Cher, "Bussière" : les établissements de l'Antiquité et du Moyen Age
- Joué-les-Tours, "Les Etangs de Narbonne" : les occupations médiévales
- Les structures de stockage médiévales

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